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Pdv Jaimie

Les derniers hommes de Sullivan emmènent les caisses d'armes devant moi. La journée se termine de façon satisfaisante. Ma main tient encore le récapitulatif de tout le chargement que je me suis engagé à vérifier pour laisser sa journée à Louis. Un homme d'une vingtaine d'années à la cicatrice barrant le sourcil gauche s'approche d'une caisse nullement notée.
« Eh ! Cette caisse est pas signalée ! Elle reste là !
- Occupes toi de ton petit gang, je sais ce que je dois prendre.
L'agacement me gagne à petit feu.
- Ouais et ici t'es chez moi. Sullivan l'a pas demandée auprès de moi donc elle reste ici.
Je dois vérifier son contenu, peut être que celle-ci est à nous. Depuis l'arrivée de Steve Sullivan dans la ville, nos propres affaires stagnent. La possible livraison d'un de mes trafics nous permettrait de débloquer notre groupe. Mais, lorsque mes mains en saisissent le couvercle, un coup brutal dans mon épaule stoppe mon mouvement.
- Je t'ai dit de ne pas toucher à ce coffre. C'est à notre boss et Je le récupère!
Mes sourcils se froncent et mes poings se serrent.
-Et bien tu dira à ton patron que je veux être au courant de tout ce qui se fait récupérer chez moi, c'est clair ?
- Toi et ton petit gang n'êtes pas autorisés à avoir ces informations. Alors ici, tu m'obéis.
Pris par ma colère grandissante, je toise cet énergumène et le regarde dans les yeux :
- Mon gang, mon hangar...Mes règles !

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Pdv Sunset

Le ballon frappe à nouveau la grille de fer qui entoure la planque de notre groupe. Le vieux jouet recouvert de terre et presque dégonflé revient vers moi.
Depuis que Jaimie m'a jeté de leurs affaires, me voilà comme un imbecile à traîner dans les rues, sans occupation, de la même manière que les autres " jeunes à problèmes ". Ceux que les Impatients regardent de travers et jugent. Eux ont un travail, une vie convenable, des petits tracas comme la rayure sur leurs voitures ou le paiement du pressing pour leurs chemises.
Ils sont aller à l'école, ont été élevés, aimés. Ils n'ont la mort de personne sur la conscience, ils n'ont pas été effacés de la mémoire de leur proche.
Les larmes brouillent ma vue alors que mes pieds frappent la balle encore et encore de toutes mes forces.
Lorsque finalement la balle perd le reste de son air, ma larme finit par rouler sur ma joue, suivis de plusieurs autres.
L'image d'un visage que j'aurais aimé oublier, le souvenir de mots qui m'ont tant détruit me reviennent.
Rongé par ma mémoire et mes fantômes, j'entends la voix d'un homme s'élevé :
« Ce petit con va entendre parler de moi ! Sullivan aurait dû mieux choisir les trous du cul avec lesquels il travaille ! Dégagez-moi cette caisse, bougez vous !

Penché derrière le petit mur, j'observe l'homme à la cicatrice plus que voyante s'en aller dans une camionnette.
La vue de Jaimie qui entre à nouveau dans son hangar me laisse penser qu'il est le petit con en question.
Je sèche mes larmes et me dirige vers le bâtiment de métal pour rejoindre le brun. Les taules rougies par la rouille et qui bouchent l'entrée sont suffisamment ouvertes pour m'éviter de faire trop de bruit en les écartant. Jaimie ne me voit donc arriver qu'au dernier moment.
L'homme qui cache si bien ses émotions laisse la surprise traverser son visage et esquisse un sourire à ma venue.
- Su'...tout va bien ?
J'hoche la tête et évite d'aborder ma précédente crise de larmes. Mais Jaimie le sait déjà. Mes larmes sont séchées mais leurs traces sont encore si visible pour celui qui m'a recueilli comme un grand frère. Son sourire me dit sans qu'il ne prononce aucun mot qu'il n'insistera pas. Pas un commentaire, juste la chaleur fraternelle de son regard compatissant.
Je m'approche de son bureau et observe autour de moi. Je me revois assis sur ce vieil escalier, discutant avec Louis, observant les occupations et aidant les membres. L'escalier est recouvert de poussières, les armes du gang sont toutes emportées et utilisées, le bureau de Jaimie est recouvert de paperasses et un silence inhabituel règne.
Mon esprit s'égare dans ses souvenirs bien plus agréables que les précédents. Une nouvelle famille que je me suis trouvée, des amis précieux, un sens à ma vie parmi ces oubliés.
L'oubli, quel drôle de fait. On peut oublier pleins de choses et se faire oublier aussi.
Se faire effacer d'un coup, par un simple accident. Ces visages, ces mots me reviennent encore. Jaimie sent mon désarroi et pose sa main sur mon épaule.
- Su'...tu les a revu déjà ?
Ma tête se secoue.
- Steve Sullivan reste un petit temps encore, tu n'aura rien d'autre à faire.
Mon regard se baisse sur mes mains.
- Penses y, Su'. Rien n'est défini pour toi. Rien n'est perdu.»
Et sur ces mots lourds de sens, Jaimie me prend dans ses bras, laissant mon esprit se remplir de doutes.

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Pdv Stranger

Ses pas dans le couloir du bateau résonnent dans l'oppressante atmosphère de l'étroit passage. La peinture qui s'écaille et les bruits de fond constant ne font pas de ce lieu un endroit reposant. Les gouttes qui tombent continuellement semblent compter le temps qui passe dans cette carcasse dans leur inlassable écho. Le Black Smuggler, endormi sur les flots dans son ossement métallique, est devenu un repère du crime et de la magouille.
Le jeune asiatique s'approche de la cabine avec impatience. Il frappe la porte et attend la réponse :
« 是的 ( oui )
Il entre et salut d'un signe de tête l'aîné devant lui. Le regard que lui adresse celui-ci le questionne plus efficacement que des mots.
- Je viens demander quelques informations sur l'élite que veut choisir Steve Sullivan. J'aimerai en faire partie pour représenter notre gang qu'il semble sous-estimer.
Le regard du patron chinois change alors et devient plus sombre.
- Comment as-tu eu ces informations ?!
- Je...
- Ne réponds pas ! Retires ça de ton esprit, contentes toi de faire ce que l'on te demande !
- Bien, Monsieur.
Un sourire moqueur prend place sur le visage de Lee. Le chef du gang asiatique, le grand dragon, se lève et toise le jeune homme.
- Ceci ne fait que m'apprendre ton estime envers toi même. Le plus jeune de mes hommes, le plus soumis à ses émotions, à ses faiblesses, veut représenter le gang ?
Il penche son visage et murmure sévèrement :
- Contrôles toi avant de me faire affront à nouveau ! Sors maintenant !
- 谢谢 ( merci )»
Un dernier signe de tête et notre jeune sort sans se retourner.

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Les paroles de son supérieur n'ont fait que raviver sa témérité. Tout en fixant les fameuses caisses du mystérieux trafic de l'élite, le jeune tatoué digère les reproches de son chef. Mais la voix de Lee prend soudain le timbre d'un autre. Sa haine ne se tourne alors plus envers le grand dragon mais envers un souvenir, une image passée bien plus insupportable à ses yeux.
Un dernier coup d'œil à ces sombres chargements, du haut de son poste de surveillance, le décide davantage. Le gang entier saura sa valeur. Il devait ouvrir l'une de ces caisses. Il devait trouver un plan, un moyen de percer à jours ce trafic.
Le jeune homme s'avance sur le pont, les pensées fulminantes.
Alors que tout son être s'emplie d'idées et de détermination, sa vue se porte sur une chevelure d'argent et une silhouette noire. Sous le reflet de la lune et dans l'ombre du grand bateau , Steve Sullivan fixe le port d'un grand intérêt.

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GasolineWhere stories live. Discover now