Partie 1

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Il était en train de faire la vaisselle, et je l'ai observé. Je l'ai vu de dos, et je me suis dit, c'est fou quand même, on passe une vie entière sans se voir de dos ! J'ai remarqué également ses cheveux gris, et je me suis demandé soudainement comment ils apparaissent. Un par un, la nuit ? Ou tous en même temps, violemment, un matin ? Est-ce que je verrai une différence en regardant sa tête chaque jour ? Bon, je le savais, c'était toujours pareil : je me faisais plein de réflexions, me posais une tonne de questions en général, mais lorsqu'il fallait aller droit au but, je séchais comme un poisson. La bouche grande ouverte, comme pour dire quelque chose, les yeux écarquillés de stupeur, je finissais par me taire. Et voilà, c'était reparti, je me suis égaré.

J'ai pris une grande respiration, mais papa m'a devancé. Comme s'il avait deux antennes sur la tête, il s'est tourné vers moi, les mains pleines de mousse, souriant.

—Que se passe-t-il mon grand ?

J'ai regardé mes chaussures, puis un carreau de carrelage sur lequel il y avait une petite tache de sauce tomate, puis les chaussures de mon père, sa chemise, sans aller jusqu'aux yeux, c'était plus simple de ne pas regarder ses yeux et j'ai lâché :

—J'ai gagné.

Il a froncé les sourcils. J'ai noté qu'ils grisonnaient, comme ses cheveux.

—De quoi parles-tu ?

—Le concours auquel tu ne voulais pas que je participe. Je l'ai gagné, ai-je répété, n'y croyant toujours pas.

Ses yeux noisette m'ont fixé et j'ai presque vu les engrenages de sa réflexion. Il a rapidement compris que c'était un miracle parce que je n'avais aucune chance de le gagner ce concours... la probabilité étant si faible. Le destin m'avait choisi parmi tant d'autres enfants dans le besoin. Cependant, il m'avait interdit d'y concourir, et je me suis attendu à une réprimande. Pourtant, rien ne venait, et j'ai trouvé que le silence était pire qu'une sentence quelconque. Il a affiché une mine contrarié, mais n'a rien dit.

— Que t'avais-je dit ?

Son ton, qui aurait dû être menaçant, était presque un souffle. Mon coeur a tambouriné dans ma poitrine, tandis que l'incompréhension s'est étendue en moi. Il a répété sa question, à laquelle je n'ai répondu que d'un faible oui, les yeux baissés. Toutefois, sa réaction m'a surpris.

Ses lèvres se sont étirées, dessinant un large sourire, et ses rides ont presque disparu sous le bonheur. Je l'observais, je voulais graver tous ces détails dans ma mémoire. Je ne lui avais pas encore tout annoncé, l'opération se passait loin... Très loin. Trop loin.

—Mais c'est fantastique ça, mon grand ! Je sais que je ne voulais pas que tu participes, mais c'était pour éviter que la déception te mine. Je pensais à une fausse organisation.

Il était vrai que le fait d'envoyer un texte relatant son existence, avec le pourquoi nous souhaitions guérir, était assez étrange. Au fil de son monologue, la joie a diffusé une douce chaleur dans mon corps.

—Je suis tellement heureux pour toi ! a-t-il continué. Tu n'avais que si peu de chances de gagner... Ta mère serait dans le même état que moi, si elle avait pu entendre cette nouvelle.

À l'évocation de ma mère, mes yeux se sont voilés de larmes, mais j'ai souri.

—Je deviendrai comme tout le monde, ai-je déclaré.

Mon père a hoché la tête, les yeux brillants de joie. Il a séché ses mains et a ouvert les bras. La tête enfouie dans son cou, mes larmes mouillant le col de sa chemise, j'ai savouré ces derniers instants en sa compagnie. Ne sachant que dire, je me suis tu. J'étais vraiment heureux d'avoir gagné, mais j'étais déçu de ne pas pouvoir être accompagné de mon père. Par conséquent, ma joie en était ternie. Il a dû le ressentir car il a murmuré, hésitant :

—On ne se reverra plus, n'est-ce pas ?

Ultime SautWhere stories live. Discover now