Partie 2

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Il n'y avait rien à répondre. C'était une chance inouïe de recevoir cette opération, mais cela s'accompagnait d'inconvénients. Le prix du concours ne comprenait qu'un aller simple. Nos économies ne lui permettaient pas de me suivre.

- Peut-être que si ? Qui sait ? lui ai-je mumuré.

Cependant, nous savions tous deux que c'était faux. Il a reculé, m'a ébouriffé les cheveux et m'a demandé, les larmes aux yeux, d'aller faire ma valise.

Je l'ai vue, cette lueur de profond désespoir cachée dans les tréfonds de ses yeux. Je l'ai vue, et cela aurait dû tirer la sonnette d'alarme dans mon cerveau. Mais rien n'a sonné et je l'ai oubliée.

Le départ était proche, une voiture m'attendait déjà dehors.

En préparant mes bagages, j'ai songé à mon père.
Je le savais heureux pour moi, je n'aurais plus à m'arrêter, essoufflé, toutes les deux marches. Je pourrais bientôt - du moins après les multiples opérations, les mois de rééducation et l'année de tests - courir, sauter, jouer avec les autres enfants de mon âge. Je savais que mon père prenait tout cela en compte, mais je n'étais pas dupe. Derrière son sourire de façade et sa réelle joie pour moi se cachait une incroyable tristesse, et de la peur. Une peur immense, celle de la solitude. Je savais qu'il comprenait ma chance, mais je peinais à partir. Il était ma seule famille et j'étais tout ce qu'il lui restait.

Qu'allait-il faire, après mon départ ? Il était déjà si anéanti après la disparition de ma mère, comment se remettrait-il de la mienne ? Je ne voulais pas qu'il soit triste par ma faute, mais c'était inexorablement ce qui allait arriver.

Après avoir fini ma valise, j'ai embrassé du regard cet appartement qui m'a vu grandir. Mes yeux ont parcouru la pièce, se sont posés sur les meubles, les murs, et ont fini leur danse circulaire sur la grande fenêtre du salon. Elle donnait sur l'entrée de l'immeuble, et petit, j'aimais regarder les gens passer. Je les voyais minuscules comme des fourmis, et cela m'amusait. Ce temps de l'insouciance est révolu.

Enfin, après avoir refoulé mes larmes, je suis descendu par l'ascenseur. Dans notre famille, nous ne faisions jamais d'au revoir. Nous espérions ainsi pouvoir nous retrouver, et cela permettait de se dire que rien n'était réellement fini.

Ce fut donc sans un regard en arrière que j'ai ouvert la porte de l'immeuble dans lequel j'avais grandi. J'ai franchi le porche à l'instant même où mon père, quelques mètres plus haut, ouvrait la fenêtre. Je pensais prendre mon envol et démarrer une nouvelle vie.

J'ai espéré que mon père trouverait un nouveau sens à son existence, qu'il s'investirait dans son travail. Mais il avait un dernier projet. Une unique action pour tourner une page de sa vie. Cependant, ce n'était pas pour démarrer un nouveau chapitre, mais pour écrire le mot « fin ».
Simplement, j'aurai aimé qu'il ne termine pas, par la même occasion, l'histoire de ma vie.

Sur le perron de mon immeuble, je pensais démarrer une nouvelle vie, mais c'est le contraire qui s'est produit : c'est là qu'elle s'est terminée. C'est également là que les autorités nous trouvèrent, mon père et moi.

Par son ultime saut, il a offert une opération à un autre enfant dans le besoin.

Ultime SautWhere stories live. Discover now