III

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Je me suis cogné et j'ai observé la formation d'un hématome rosé sur mon mollet. Ma chair est brune, sèche et usée, couverte de poils foncés. Ils s'entortillent, se chevauchent sans grande grâce, sauf sous les doigts de Julie. Au creux de mon épaule, sa tête délicate est posée. Ses ongles courts et blafards grattent ma peau, la marquent comme l'est ma bouche. Comme l'est ma joue, creusée par la vague de ses caresses.

Ses yeux clairs s'ébattent près des miens, mouvement lent de ma poitrine qui s'affaisse et se redresse.

Le pont tangue et la cabine se resserre.

Les rideaux sont tirés ; il flotte dans la pièce, une odeur d'ombre et de lessive. Goût de l'alcool en bouche. Quand j'enfouis mon nez dans le cou de Julie, c'est son odeur de crème solaire qui m'emplit les narines. Elle en est saturée jusqu'à la moelle, et m'enrobe. Hier j'avais mis une robe blanche, et elle, un feutre gris. Les vêtements n'ont pas laissé de traces sur nos peaux. L'épuisement des sens s'y est, au contraire, enfoncé avec insistance.

A se gorger de soleil, et frémir d'appétit, à goûter l'eau claire et les jambes des jeunes filles, le poisson aux herbes, le jus sucré du fruit. Ces parfums, et saveurs, ont électrisé notre souffle, y ont dressé mille feux ardents.

La fatigue immense pour celui qui a couru la nuit durant. Au long des heures, la course se mue en élan. Il nous tient en haleine, hargneux et exaltant. Cependant, on finit par succomber. Le pas en rupture, vacille tendrement, avant de s'effondrer sous notre grand poids.

On chute alors dans des draps de velours, laissant leur onctuosité nous écorcher les lèvres. Il n'y a pas de sein plus doux, d'écroulement à perte aussi justifié, qu'en ce lieu. Les yeux nimbés d'un voile trouble, frémissent sous l'étreinte. Du grand manteau pourpre de la mère, qui vient retirer son enfant au soleil carnassier et au sol ferme. Il a été donné tant à contempler. Rendu fou, assommé et étranglé, elle subtilise cet enfant à la beauté brute. Un sourire pend encore à ses lèvres lorsqu'elle l'emporte. Ses longues mains le bercent, le rendent aveugle. Elle baise son front, étire ses cils, et les enlace. Soupire de son menton obstiné, et de cette grâce fusillée, coulant à flots ouverts dans son dos.

Enfance dans toutes les langues, scabreuse, en grande impertinente. Enfance déshabillée sous les coups du temps. Agressive et victorieuse, ainsi va-t-elle. Belles parades, des bâtons dans les jambes. Enfance chamboule, mitraille au goutte à goutte. En réponse corporelle, l'échine torturée par le soleil et l'eau.

- Ton corps aime mieux que ton cœur.

En réponse à cette enfance, notre amour me paraît soudain abîme, statue lourde et incertaine. J'entends le bois craquer jusqu'au fond de mon être, et je cherche avec peur dévorante, la parole qui saura me résonner.

- Tu t'en fous ?

Julie a la rétine imbibée d'acide, qui grésille et sent ma peur, et ne la démonte pas.

Une de ses bretelles a glissé, furtive, le long de son épaule. Nous nous sommes suspendus devant le chaos du geste, le même son que celui d'une tasse brisée à la table d'à côté, pointant dans nos oreilles. Chute des objets, et la suspension que cela entraîne. Chaque corps se figeant, avant le point de bascule.

Mille fois la bretelle est retombée dans cet exact angle, et Julie n'agit pas. Fixant mon visage avec sa pupille minime, elle sent le trouble confus qui me broie, monter en moi. Elle l'attend. Mais le veut-elle vraiment ? Elle l'invite, et cueille mes sanglots de ses bras. Arôme étranger, susurre mon prénom, mais les larmes sont ici empoisonnées.

"Tu es cruelle", aimerais-je lui dire. "C'est toi qui m'as frappé ainsi ? Je ne me souviens plus d'hier, mais la pluie de coups a imprégné ma peau. Restent les traces, et cette odeur infâme qui suinte. Je pourris". Les doigts de Julie creusant ma paume, sont une blessure.

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