15. CALL DATE

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La grande fratrie au salon, devant la télé, un immense saladier de pop corn sur la table basse. Évidemment, les jumelles s'étaient disputées le goût : salé ou sucré ? Elvio et Sofia s'en moquaient pas mal. Ramona et Maria boudaient encore, chacune sur leur coin de canapé alors qu'Elvio mettait en route Netflix.

C'était un soir d'été, ni les jumelles ni les deux plus grands n'étaient prit en cette soirée. Au lieu de s'enfermer dans leurs chambres respectives, ils avaient décidés de faire une grande soirée Netflix au salon. C'était Sofia et Elvio qui payaient l'abonnement, et tout le monde avait un compte à soi.

« On regarde quel Harry Potter ? Demanda Sofia à ses deux petites sœurs.
- Le quatre, répondit tout de suite Maria.
- Le six, rétorqua Ramona presque en même temps.
- Putain t'es chiante ! S'énerva Maria en se tournant vers sa sœur.
- Fermez làààà ! » souffla Sofia, desépérée.

Elvio avait lancé le troisième film de la saga. Autant n'en satisfaire aucune quand elles se chamaillaient ainsi. Il chippa le saladier de pop corn finalement nature et le posa sur ses genoux. Toutes les cinq minutes, des petites mains venaient picorer des poignées entières de maïs sautés.

« Y a aucun latino dans Harry Potter. » souligna Ramona.

Les trois autres haussèrent les épaules, happés par le film. L'entrée de leur maman, leur génitrice protégée, dans le salon les fit tous soufflés d'agacement. Impossible de suivre ce film tranquillement !
Paloma, la mère des enfants, tenait son téléphone portable sur son oreille droite, et leur fit signe à tous de mettre le film sur pause.

« Es papi. » déclara t-elle.

Il n'en fallait pas plus pour que Sofia se jette sur la télécommande et mette le film en suspens.

« Se trata de la Abuelita.
- ¿ Como esta ella ? S'inquiéta tout de suite la plus âgée des filles.
- Hm... »

Paloma activa le haut parleur tandis que les troupes se reunissèrent autour du téléphone premier prix dont le son grésillait.

« Hola ! S'écria leur père, Guillermo.
- Hola, répondirent-ils tous en chœur.
- J'ai des nouvelles de Abuelita pour vous, dit Guillermo d'un accent coupé au couteau. Vous pouvez tous venir en Espagne d'ici la semaine prochaine.
- C'est une bonne nouvelle ? S'angoissait Ramona.
- Sì y no... »

Paloma souffla en se malaxant les tempes, embêtée. Plusieurs mois déjà que son mari avait volé loin de leur pays d'habitat pour regagner son pays d'origines, avec sa mère, qui vivait depuis la naissance d'Elvio avec eux. La veille femme était tombée malade et commençait à perdre la mémoire. Parfois, elle ne se souvenait plus de Paloma, ou oubliait l'existence de ses petits enfants qu'elle avait pourtant tendrement aimé.

En temps normal, les grandes vacances se passaient un mois chez Abuelita en Espagne et l'autre mois chez Abuelita 2 en Argentine, dans le village natal de Paloma.

Finalement, la soirée Netflix et Harry Potter se termina ainsi. Paloma demanda à sa petite colonie qui voulait venir : tout le monde leva une main. Elle s'occuperait de réserver leurs billets d'avion au plus vite.
Toute la fratrie décida de monter dans leurs chambres respectives, dans un silence réflexif. Avant de regagner son antre, Elvio jeta un regard bref à sa sœur Sofia, comme pour vérifier son état. Le visage fermé, loin d'être enchantée depuis ce coup de fil, elle remarqua le regard appuyé d'Elvio. C'est par un clin d'œil qu'elle le rassura : non, ce soir elle ne noierait pas ses angoisses dans la fête, l'excès et la boisson.

Paloma se retrouva seule sur le grand canapé, avec rien que pour elle un énorme saladier de pop corn nature et un compte Netflix ne lui appartenant pas. Après s'être frottée les mains, elle soufflait devant l'écran, n'ayant aucune idée de comment fonctionnait Netflix. Par chance pour elle, son fils descendait les escaliers pour venir se glisser à son côté.

« Mi hijo, met moi la télévision. »

Il pouffa en prenant la télécommande.

« Tu as le choix entre tout ça, lui montra Elvio.
- C'est beaucoup trop ! S'exclama t-elle. Met moi n'importe quoi.
- Ok, Peppa Pig. »

Quand l'épisode commença, Paloma explosa de rire.

« Change ! S'il te plaît ! »

La maman de cette grande fratrie avait elle aussi un accent qui s'entendait mais auquel on finissait par s'habituer, comme pour Elvio et Sofia. Les jumelles avaient passées moins de temps en Argentine ou en Espagne, un peu plus en France. Couramment bilingues, elles avaient échappés de justesse au petit accent qui suscitait souvent des réactions : soit des questions curieuses, soit déplacées.

Un épisode d'une série espagnole se déroulant dans les années 20 fut le choix de Paloma, toute satisfaite avec ses pop corn.
Durant l'épisode, Elvio posa sa tête sur les cuisses de sa mère, comme quand il était petit.

« Comment tu fais pour supporter la distance quand papa n'est pas là ? Demanda t-il finalement.
- Je n'ai pas le choix, mi amor. Je pense beaucoup à lui, on se téléphone chaque jour, on s'écrit des messages.
- T'es jamais triste ?
- Sí, évidemment. Mais c'est temporaire, pas pour toujours. Je sais que nous sommes forts, affirma Paloma en avalant un pop corn, après toutes les aventures que nous avons vécus. Tous nos beaux voyages, nos belles rencontres et nos beaux enfants ! »

Incertain, Elvio fit la moue, toujours allongé sur les cuisses de sa mère.

« Alors comment on fait quand on est loin de quelqu'un qu'on aime. Pas forcément amoureux, juste on l'aime, essaya de s'expliquer Elvio.
- Un autre type d'amour que l'amour amoureux ? Demanda en précisons sa mère.
- Non... pas vraiment... »

Il se redressa, embêté, et plongea la main dans le saladier presque plein.

« Peu importe quel type d'amour nous lie à une personne, c'est toujours douloureux et difficile d'être séparés et loin, raconta Paloma de son expérience. Mais les voyages en valent toujours la peine.
- Je ne sais pas...
- Tu ne veux pas venir en Espagne, c'est ça que tu essayes de me dire Elvi ? »

Elvio hocha négativement la tête, le regard faussement accaparé par la série qui se jouait à l'écran.

« Je vais me coucher.
- Buenas noches, mi amor. »

Il embrassa sa mère sur la joue avant de regagner de nouveau sa chambre.

Allongé dans son lit, plongé dans l'obscurité de sa petite chambre, Elvio ne trouvait pas le sommeil. L'échange qu'il venait d'avoir avec sa mère l'avait poussé à la réflexion. Il repensa à ses dires, sortis tout naturellement de sa bouche : « Alors comment on fait quand on est loin de quelqu'un qu'on aime. Pas forcément amoureux, juste on l'aime ».
Un train de pensées et d'analyses, si rapide et fervent, parcouru le quai de son esprit à toute pompe. Irrattrapable et incompréhensible. Une exaltation de mots, d'émotions, de trop plein. Il perdait le fil, se perdait lui même et ses ressentis.

Excédé par son incompréhension de lui même, Elvio plongea la tête dans son coussin pour étouffer un cri. La boule au ventre, il se sentait déchiré de l'intérieur. Là était sa seule certitude. Comme si une terrible tempête grondait en lui, qu'un orage tonnait à lui ouvrir les entrailles.

Comme très souvent, sans réfléchir, sans savoir pourquoi, Elvio attrapa son téléphone posé sur la table de chevet à quelques centimètres du lit, la boule dans son ventre de plus en plus intense. Penser à Achille, à la possible séparation qui lui criait que pour qu'il y ai séparation, il y avait alors relation. Pas n'importe laquelle. Une relation innommable. Tout criait, hurlait dans sa tête. Surtout une chose, une seule chose : son prénom. Celui d'Achille. L'envie d'être prêt de lui, de languir sous ses doigts, allait bientôt le tuer.

Après quatre bip, il décrocha.

« Je crois que tu me manques. » lâcha Elvio, misérable.

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