Dans l'ombre

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— Bébé, tu aimes mon collage ?

Une question tout à fait mignonne et acceptable de la part d'un bambin de 5 ans, seulement le grand con qui me la posait avait la barbe trop drue pour être honnête. Il me tendit une grande feuille de papier cartonné sur laquelle étaient agglomérées un tas de petites merdes découpées dans différents matériaux. La seule chose que j'arrivais à distinguer convenablement ressemblait à un dos masculin sur lequel était collé en superposition un long fil de laine bleu entortillé sur lui-même.

— Oui beaucoup, c'est très inspiré David ! Et original en plus, ça représente quoi ?

Pour être honnête, je n'en avais foutre rien à cirer mais cela faisait plus de vingt minutes que la conversation tournait autour de la fête organisée en l'honneur de la signature de mon contrat de travail, qui s'approchait à mesure que le jour tombait. Je ne lui avais toujours pas donné le change, et puisque nous étions en couple depuis plusieurs mois, si je ne le soutenais pas dans ses délires artistiques je devais au moins feindre l'intérêt. Il enfila ses lunettes et me toisa par en-dessous. Il avait l'air d'un vieux philosophe et je n'étais pas en mesure de déterminer si ça m'excitait ou me dégoûtait.

— Sois honnête Gaëlle, c'est too much, n'est-ce pas ?

Je n'avais pas l'ombre d'une idée de ce que j'étais supposée répondre mais quand il m'appelle par mon prénom, en général, ça pue le piège. Je n'y comprends déjà pas grand-chose à l'Art, mais le collage me dépasse. Je pars du principe qu'au sortir de l'école primaire, on ne colle plus rien. Il avait pourtant l'air très sérieux.

— Oui. Si, peut-être que tu as raison. Tu es allé dans l'excès.

L'excès de quoi, il le déterminerait tout seul. Acquiescer était plus approprié et m'éviterait le devoir de me justifier.

— Je m'en doutais. Je savais que tu le remarquerais grâce à ton sens du détail aiguisé. Tu es une femme qui s'écoute !

Tout ce que j'écoutais en moi à ce moment précis, c'était l'impatience de tester l'effet de ma nouvelle robe en cuir et de mes talons aiguilles de pute sur le dancefloor. Ce mec était chiant comme la lune  et je me languissais déjà d'avoir assez d'argent de côté pour me barrer. 

— C'est vrai, mon amour. Et du coup, que comptes-tu faire ?

— Je te vois venir ! Je ne modifierai rien, si je venais à le faire, je me trahirais. Les yeux avisés y verront du génie, j'en suis persuadé et tu viens de me prouver que je ne me trompe pas.

À la bonne heure ! Il jeta un œil à son téléphone, bondit de son fauteuil et s'immobilisa quelques secondes. Parfois, ses sursauts autistiques me faisaient flipper.

— Ils sont en bas, prends ton sac on y va.

Sauvée ! J'allais enfin fêter mon nouvel emploi avec mes amis et oublier la triste vie que je menais avec ce taré. La musique couillue de ce club me mit rapidement en transe. J'aime les basses et les basses aiment me voir remuer le popotin. Le nerd affamé et repoussant qui n'avait salué que mon petit ami et s'était installé à notre table était de cet avis, lui aussi. Dans l'attente de ma commande au comptoir, je me dandinais les hanches et hochais du croupion pour lui, c'était cadeau.

J'aperçus un homme accoudé près de moi, dans l'ombre du mur. Fringué comme un croque-mort, il se tenait immobile et ses longs cheveux noirs dissimulaient son visage. Je me penchai discrètement, tentai de l'approcher pour apercevoir ses traits, sans succès. Ma main s'agita de nouveau pour le serveur, en bousculant un peu Dracula, comme de pas-fait-exprès. Je jetai quand même un œil derrière moi. R.A.S mon abruti se montrait toujours aussi passionnant d'ennui avec nos amis.

Dans l'ombreWhere stories live. Discover now