Nuit blanche

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Heureux l'ignorant que j'étais. 

Cela ne devait être qu'une simple remise en question personnelle. La redéfinition d'un projet professionnel, plus en phase avec mes aspirations et convictions profondes. Le besoin de se savoir utile. Une quête de sens. Mais à vouloir trop réfléchir, on se risque à devoir affronter la réalité en face. 

Et maintenant, je pense que je suis en pleine dépression pré-apocalyptique. 

L'écran noir de mes nuits blanches ne projette plus désormais que longs métrages horrifiques et films catastrophe. Mais ce qui trouble mon sommeil par dessus tout, c'est le vacarme assourdissant des questions sans réponse, qui s'entrechoquent et se font écho dans le désordre le plus total. 

En premier lieu viennent naturellement les questions d'ordre personnel. Comment protéger mes proches. Pourquoi avoir engendré deux enfants à l'aube de l'effondrement de notre civilisation? Certes, nous faisons de notre mieux chaque jour pour en faire de futurs adultes bienveillants et responsables.  De toutes les cartes à notre disposition, c'est probablement notre meilleur atout. A condition toutefois qu'ils puissent effectivement atteindre l'âge de devenir des adultes bienveillants et responsables. Et vaut-il mieux pour cela entretenir leur belle innocence, ou au contraire les éveiller aux bouleversements à venir? Sujet très sensible.

Parfois, l'optimisme reprend le dessus. On ne se refait pas. Quand je vois le nombre croissant de mes concitoyens qui se lèvent, je me dis que tout espoir n'est pas perdu. Mais pour reprendre une image popularisée il y a tout juste 15 ans par Nicolas Hulot, j'ai l'impression que les passagers qui ont aperçu l'iceberg avant tout le monde, après avoir crié au désastre sans être parvenus à se faire entendre, se sont mis à avancer dans le sens opposé à la marche du navire, en essayant au passage de rallier un maximum de personnes à la cause commune, dans l'espoir de ralentir la cadence pour limiter l'impact de la collision. Malheureusement, cela pèse trop peu. L'inertie du paquebot est trop grande. Il semble inébranlable. Et le capitaine, aveugle et sourd. Et contrairement à une autre image en vogue, popularisée celle-ci par Pierre Rahbi, nous ne sommes pas des colibris. Quand viendra l'impact fracassant, nous ne pourrons pas nous envoler pour y échapper. Non, nous sommes des êtres humains. Et nous sommes bien sur le même bateau que le capitaine et ses mécanos. Nous aurions probablement dû les jeter par dessus bord il y a longtemps. Maintenant, il est trop tard. 

La catastrophe est donc inéluctable. 

Viennent alors les questions d'ordre logistique. Cela fait quelques temps que nous envisageons un déménagement. Mais pour aller où? Plus que jamais, l'achat d'un logement semble être un investissement pour l'avenir. Les facteurs à prendre en compte sont nombreux et protéiformes.
En tête, le réchauffement climatique. Faut-il fuir la ville? Une augmentation de 3°C (optimisme, toujours), et les îlots de chaleur urbains deviendront probablement inhabitables. Alors faut-il aller se réfugier dans la montagne? La forêt? Ce qui suppose au passage de revoir en profondeur notre organisation familiale?
Deuxième facteur, conséquence directe du premier: la montée du niveau des eaux. La stratégie consistant à éviter les zones côtières est-elle suffisante? Le bassin parisien ne redeviendra-t-il pas bientôt un bassin? Le plat pays a-t-il les remparts nécessaires pour faire face à une montée d'1 mètre du niveau global des mers? Et si c'était plus? L'effet d'emballement est tellement difficile à prévoir. 
Troisième facteur, lui aussi intimement lié aux deux premiers: le dérèglement climatique. On le sait, les bouleversements en cours vont augmenter la fréquence et l'intensité des catastrophes naturelles. On en voit déjà les premiers effets, alors qu'on est à peine sur le seuil de ce nouveau monde. C'est bien beau de se trouver une maison à l'abri, en hauteur, au "frais", si c'est pour qu'une tornade l'envoie en l'air en 5 minutes.
Autre facteur, et non des moindres: l'épuisement des ressources. On sait déjà qu'il faudra certainement revenir aux bonnes vieilles recettes d'antan, à base de terre, de bois et d'huile de coude. Mais comment être réellement autonome en énergie dans un monde sans hydrocarbures? Sans électricité? Et l'eau potable, où et en quelle quantité se trouvera-t-elle dans 20 ans?
Et enfin: faut-il fuir, ou au contraire rechercher la communauté des hommes. Avec qui? Comment? Quand on voit ce que certaines personnes sont capables de faire pour un pot de Nutella à -70%, que se passera-t-il quand l'eau viendra à manquer?

Et puis, vient la question qui me taraude le plus. Les géants de l'industrie, de la haute technologie, de l'agroalimentaire, de la finance, en grande partie responsable de la situation, sont des experts de la gestion des risques. Se peut-il vraiment qu'ils n'aient pas pris en compte le risque de plus en plus probable d'effondrement du modèle sur lequel ils ont bâti leur empire? Si c'est le cas, tant mieux. Bon débarras. Ils partiront avec l'eau du bain. Mais dans le cas contraire, ont-ils déjà tout prévu? Ont-ils envisagé une solution pour chaque scénario possible? Mais alors, l'effondrement, qui aurait pu être l'occasion d'établir un nouveau rapport de forces, ne ferait-il en réalité que consolider celui qui nous a conduit à notre perte?

J'imagine que les réponses à toutes ces questions, si elles existent, se trouvent dans les livres que je n'ai pas encore lus, les documentaires que je n'ai pas encore regardés, les conférences auxquelles je n'ai pas encore assisté. Et surtout, dans les échanges avec mes congénères. Avec vous. 

En attendant, mes nuits sont à l'image des temps qui nous attendent: quelque peu agitées. 


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⏰ Terakhir diperbarui: Jun 25, 2019 ⏰

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