Chapitre 14

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Deux bras se saisirent de la jeune fille, qui n'eut pas l'idée de relever la tête pour voir qui ça pouvait être. Lequel de ses camarades la considérait maintenant comme une criminelle.

On l'emmena hors du camp, là où les tentes formaient des cercles autour de la tente principale. Et puis plus loin encore, dans une tente à l'écart du reste du monde. On l'y poussa avec fermeté.

L'intérieur était semblable à sa tente-prison. Un lit, un coffre. C'était tout ce que l'on y trouvait. Alors, comme elle n'avait rien d'autre à faire, elle alla s'asseoir sur le lit. En attendant que le temps passe. Que quelqu'un vienne la chercher. Une heure s'écoula peut-être. Sûrement plus, avant que quelqu'un fasse son entrée.

Le visiteur était grand, trop grand. Mais sa carrure de combattant lui assurait une musculature à la hauteur de sa taille. Ses bottes de cuir étaient fourrées de laines, tout comme sa veste, en cuir également. Ses vêtements étaient recouverts d'une éternelle poussière, preuve qu'il sortait d'un long voyage. Ses cheveux, d'un blond roux délicat, tout comme la barbe qu'il refusait de tailler plus de deux fois par an, étaient emmêlés, créant un réseau de noeuds sans fin. Enfin, et c'est ce qui fit réagir Bethsheba, il portait fièrement deux épées à la ceinture, une épaisse, et une plus fine, plus racée.

- Beth ?

Sans lui laisser le temps de répondre, le visiteur parcouru la distance de la porte jusqu'à la jeune fille et l'écrasa sur sa poitrine.

- Beth, chérie ! Par le coeur de Norkias, j'ai cru mourir vingt fois depuis que tu as disparue ! J'étais si inquiet ! J'ai parcouru tout le royaume pour te chercher ! Si tu savais comme tu m'as manqué, trésor.

Pour la première fois depuis longtemps, Bethsheba sentit une boule de joie se coincer dans sa gorge et remonter jusqu'à ses yeux pour y former des larmes. Comme lorsqu'elle était enfant, elle enfouit son nez dans la veste de Yaël. L'odeur de ce soldat, composée de terre battue, de mousse et de sueur, avait toujours réussi à la calmer. D'un seul coup, elle était chez elle.

Soudain, le Yaël empoigna ses deux joues, pour fixer ses yeux couleur d'automne.

- Vous vous êtes fourré dans de beaux draps, jeune fille ! Je n'ai jamais vu Célestin aussi furieux ! Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?

Si Célestin était le tuteur officiel de Bethsheba, et le père qu'elle avait perdu, Yaël était pour elle ce qui se rapprochait le plus de l'affection maternelle qu'elle avait perdue il y a longtemps. Il était dur, repoussant toujours les limites de tout le monde, et dans tous les domaines. Pourtant, si la jeune fille avait une certitude, c'était qu'il l'aimerait quoiqu'elle fasse.

- J'ai un dragon, sourit-elle.

Le soldat retint lui-même son sourire, mais laissa une lueur espiègle dans ses yeux.

- Oui, et j'ai même crus comprendre qu'il posait encore plus de problèmes que toi, ce dragon.

Il ne va pas me plaire, celui-là.

Beth ignora sans mal le dragon, tandis que Yaël s'installa à côté d'elle. Il posa une main sur sa cuisse, et la pressa en signe de soutien.

- Tu as appris... où tu dois te rendre ?
- Oui, le roi m'a convié à une audience.
- Ce n'est pas comme cela que je le dirais, rit Yaël. Mais oui, nous devons t'emmener voir le roi.

La jeune fille soupira, alors le soldat lui fit un clin d'œil.

- Mais avant nous avons une mission !

Le regain d'énergie fut immédiat chez la jeune fille.

- Une mission, quel genre de mission ?
- Nous devons emmener les apprentis Chuchoteurs rencontrer leur maître, le long de la frontière, dans leur nouveau bastion.

Le regain d'énergie se confirma. Ce n'était vraiment une mission qu'on lui confiait à elle, ni une promesse de combat, mais c'est ce qui se rapprochait le plus de son rêve : devenir un Chuchoteur.

- Rejoins les autres apprentis, Bethsheba, nous somme près à partir.

Le hochement de tête enthousiaste de la jeune fille le fit sourire. Ils sortirent tous les deux de la tente. D'un geste du bras, il lui indiqua où trouver les apprentis. Sans le regarder, elle se dirigea vers eux.

Ils formaient un groupe organisé en rangs serré. Ils se tenaient dans la même posture, droit, le regard au loin et la main serrée autour des rennes de leur cheval. Ils avaient déjà des soldats.

Le sac sur une épaule, Beth s'aligna à eux, singeant leur posture, les mains dans le dos, puisqu'elle n'avait pas encore de cheval. Le commandant Rénor choisit ce moment pour sortir de la tente de commandement, au centre du camp. Il échangea quelques mots avec Kipling, avant de lui serrer la main et de venir examiner les rangs.

Son pas était celui du commandant qu'il était, conquérant. Il avait quelque chose de nonchalant, également. Il portait son costume rouge et blanc pour signifier sa position, mais sa démarche était chaloupée, d'une puissance nonchalante. C'était ce qu'il était. Ainsi, les jeunes gens réunis sursautèrent quand il éleva une fois aussi rigide que du fer.

- Alignez-vous soldats !

Ils obéirent sans douter un seul instant qu'ils n'étaient pas alignés.

- Jeune fille ! Cria-t-il, sans la regarder, en s'adressant à la foule. Tu n'es pas légitime à leur côté, éloignes toi !

La tête basse, Bethsheba ne bougea pas tout de suite. Ses pieds refusaient de bouger. Elle se fit violence pour se déplacer. Seulement de quelques pas. De deux mètres. Mais Rénor n'était pas décidé à la laisser tranquille.

- Tu n'as pas gagné le droit de tenir près d'eux. Va au fond !

Elle s'exécuta. Parce que Célestin venait de prendre place aux côtés de Rénor, avec Yaël. Célestin était un moine et un homme respecté. Il était connu de tous parce qu'il parcourait le Royaume de De Vallus, dispensant sa parole et ses soins à tous les villages. D'où son surnom de Célestin le sage. Pourtant, il était si banal. Il portait la longue robe brune des moines, ses cheveux étaient bruns également, retenu par un simple cordon de cuir. D'une apparence peu remarquable.

Mais sa présence. Son aura était si prenante, que sa présence écrasait ceux autour de lui. Et c'est cette simple présence intimidante qui poussa Bethsheba à obéir.

- Où est ton dragon ? Continua Rénor, tandis que la jeune fille allait s'installer. Nous n'avons pas de temps à perdre, nous devons partir.

Beth ne prit pas la peine de demander à Bellarnok où il était. Elle voyait clairement dans son esprit que le dragon était en train de déchiqueter un mouton dans un pré à une centaine de kilomètres d'ici. Il ne se dérangera pas. Surtout pas pour lui servir de mule, comme les autres chevaux ici.

- Il nous rejoindra plus tard.
- Et donc ? Tu as l'intention de galoper à côté de nous jusqu'à ce que tu tombes de fatigue ? Appelle-le !

Son dédain était perceptible. Autant que la honte dans la voix de la jeune fille quand elle répondit.

- J'aurais besoin d'un cheval.
- Parle plus fort !
- Il me faut un cheval !

Rien n'aurait pu plus gêner Bethsheba que le silence qui accueillit sa phrase. Une remarque moqueuse, un ton railleur, elle aurait compris. Mais ce silence de pitié méprisante, c'était quelque chose de difficile à avaler.

Sans un mot, on lui apporta un cheval. Elle le monta, sans un bruit, le regard bas. Rénor sonna le départ, tout en lui signifiant qu'elle devait chevaucher à cinq mètres de distance du reste du groupe. Et que si elle pensait pouvoir galoper à sa guise, il l'attacherait à la propre selle de son cheval.

Bon courage, dit Bellarnok.

Les Chuchoteurs : L'Âme des Dragons [EN REECRITURE]Where stories live. Discover now