Si rien ne change.

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Ce soir encore je me demandais ce que j'allais bien pouvoir faire pour fuir l'ennui qui me consumait quotidiennement. J'étais avachi sur mon lit les yeux rivés au plafond et j'écoutais la musique qui s'élevait dans ma chambre. Tout me paraissait démesurément vide, sans vie. La peinture au-dessus de moi était craquelée par le temps et le papier peint qui ornait les murs de la pièce avait jauni. Nous venions tout juste d'emménager dans ce quartier et je haïssais déjà l'ambiance qui y régnait. Ici la vie semblait terne et sans saveur, et j'avais fini par me lasser d'observer madame Hervé rentrer et sortir pour refermer son portail ouvert par le vent.

Parfois je restais des heures entières ainsi allongé sur mon lit à me demander comment j'avais bien pu me retrouver là sans objectif à réaliser. J'avais vingt-deux ans depuis bientôt six mois et je n'avais toujours pas réussi à trouver un sens à mon existence depuis son départ.

Nous avions perdu Marin il y a environ deux ans, emporté par une saleté de cancer que les médecins n'étaient pas parvenu à soigner. Je me souviens encore de sa voix lorsqu'il nous hurlait de ne pas nous inquiéter avant de contenir la douleur qui le rongeait. Nous le savions tous condamné mais personne n'avait osé parler du moment fatidique qui nous pendait au nez jusqu'à ce matin d'hiver où il s'en était allé paisiblement, épuisé par les traitements à répétition.

Maman a beaucoup pleuré ce jour-là et je crois bien qu'elle n'a plus jamais été la même par la suite. Papa ne parlait plus du tout et il se contente maintenant de vociférer sur nous pour évacuer la colère qu'il n'a cessé d'éprouver depuis la mort de l'un de ses enfants. Et moi, j'essaie de rester en vie et de respirer chaque jour que dieu fait pour ne pas décevoir mon frère jumeau.

Mon quotidien n'avait rien de bien attrayant, en bref j'allais en cours à l'université et je travaillais dans une bibliothèque trois soirs par semaine pour me faire un peu d'argent. Maman avait voulu déménager dans le courant de l'année qui commençait pour tenter de se détacher du passé mais elle avait choisi de rester dans la même ville. Elle n'avait pas arrêté de répéter qu'elle n'en pouvait plus de devoir passer chaque jour devant la chambre de Marin en refoulant l'envie de rentrer pour pleurer sur son lit et elle pensait naïvement qu'un simple changement de maison lui conviendrait.

Personne n'avait protesté et c'est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans ce taudis que je cite : « nous allons bien évidemment mettre à notre goût pour nous sentir chez nous ». « Chez nous », j'avais refoulé un rire lorsque maman avait dit ça, comme si nous pouvions un jour être de nouveau chez nous sans lui. Tout avait changé si subitement que même l'espoir semblait déserter son poste, bien que maman s'y accroche encore de toutes ses forces.

Je rêvais de partir de cette maison mais la détresse de mes parents m'obligeait à rester vivre chez eux. L'université était terminée pour l'année et je venais d'être diplômé, bientôt peut-être pourrais-je quitter cet endroit et partir m'installer ailleurs. Mais la tristesse qui a suivi la mort de Marin ne s'estompe pas et même si maman est convaincue que ce déménagement est un nouveau départ, moi je sais que ce ne sont pas les murs qui abritent tant de chagrin...

Perdu dans mes pensées je n'entendis probablement pas ma mère crier pour me dire de baisser le son de mon enceinte ce qui l'énerva un peu plus. Cette fois sa voix parvint jusqu'à mes oreilles :

« - Elliott est-ce que tu pourrais baisser le son s'il te plaît ? Ton père n'entend pas les informations, râla t'elle.

- Oui ça va, ça va je vais baisser, répondis-je rapidement. »

La musique que j'écoutais chaque soir me permettait de laisser mon esprit s'égarer dans des confins qu'il n'avait pas encore exploré. Je sentais mon coeur plus léger et quand je fermais les yeux je sentais sa présence près de moi. Sans Marin tout n'était que solitude, néant et agonie. J'avais ruiné les relations que j'avais entamé du vivant de mon frère en rejetant mes amis et en brisant le coeur des filles qui avaient eu le malheur d'éprouver autre chose que de l'amitié à mon égard. Pourtant rien de tout cela ne me manquait et être seul me convenait parfaitement même s'il m'arrivait encore de rêver d'évasion, de voyages et de tendresse, comme si j'attendais que quelque chose puisse encore me convaincre que la vie était encore là devant moi.

Et sur le front de mer j'ai vu tes yeuxWhere stories live. Discover now