X.

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Les jours se suivent mais ne se ressemblent guère, à l'exclusion d'un personnage qui reste gravé dans le temps et qui ne s'efface tout bonnement pas.

Je pense que je suis humain, moi aussi désormais. Cette idée me hante mais ne terrorise pas, je commence à m'acclimater à ces créatures, ils sont comme moi de simple mortels. Le monde reprend des couleurs et s'offre à moi. Les oiseaux chantent gaiement en plein vol ou perchés sur les câbles électriques des poteaux dans l'arrondissement de Brooklyn. Au même moments des hommes d'affaires font un défilé marchant à une vitesse fulgurante pour ne pas être en retard ou pour ne pas rater le train. D'autres sont assis en terrasse, sirotant un café et feuilletant les journaux. Le ciel est couvert mais il ne pleut pas, laissant un faubourg animé prendre vie dans l'atmosphère rafraîchissante du printemps.

Depuis cette inoubliable journée de mes 18 ans, l'image de cette jeune femme m'est ineffaçable. Éternelle, immortalisée dans mon esprit, je ne peux m'empêcher de venir tous les jours à l'endroit où je l'ai vu pour la première et dernière fois dans le fourbe espoir de la revoir. Un mois s'est écoulé depuis cet événement et étrangement, ça fait aussi un mois depuis que j'ai des bouffées de chaleur lorsque je m'approche de cet endroit. Je pense que je m'étais trompé en disant qu'être majeure ne changeait strictement rien. Depuis mon passage à l'âge adulte, ce quartier fait mon coeur battre la chamade, et je commence à transpirer sans raison. Une simple question me tourmente alors, une question qui ne parle pas de l'homme, de l'humanité ou du monde, mais une devinette qui me prend les tripes.

Sera-t-elle là aujourd'hui ?

Cette interrogation peut sembler banal à première vue et pourtant, celà fait un mois que cette question me revient en tête et me berce sur l'illusion que peut-être que oui, elle sera là.

Le temps à fait une course contre la montre, on est déjà en fin d'après-midi et je n'ai encore rien avalé de la journée. C'est l'heure de rentrer. Ce n'est pas un drame, je retenterai ma chance demain.

Je me lève de mon banc, et commence à me déplacer lentement, profitant de l'air printanier, aspirant chaque bouffée de cette air reviviscent. Alors que je savoure ma douce marche, des airs de musique se fait entendre, je m'approche et aperçois un artiste de rue, un micro à la main. Je décide alors d'aller voir ce qu'il peut bien présenter.

"Nous sommes limités.
Oui, nous être humain aux facultés dérobés. Notre propre espèce nous empêche de raisonner, d'expérimenter, de respirer. Même d'assouvir ces petites choses dont nous avons toujours rêvé. Nous menaçant, nous disant de cesser, de faire les enfants gâtés et de faire les compliqués. Tout ça car ça ne respecte pas les normes de la société. Pour eux, deux choses; travailler et procréer. Et oui, ils croient que c'est pour cela que nous sommes tous nés, ils pensent là que ce n'est que ça nôtre destinée. Mais permettez moi de m'affirmer, dans ce monde restreint qui ne pense qu'à éradiquer, ou exiler les êtres dotés d'une magnifique capacité, qui n'est autre que l'autonomie de penser."

Je reste sans voix, c'était juste grandiose et sensationnel. Cet homme avait réussi à mettre mes sentiments et ressentis en chansons sans même me connaître. Un lien se tisse alors entre nous, je le sens, nous sommes connectés. Est-ce de l'empathie ? Je pense que c'est de l'empathie. Mais cet individu était indéniablement remarquable, je n'avais encore jamais assisté à une oeuvre de rap, mais si c'est aussi puissant que les paroles de cet homme, alors je pense me faire copain copain avec le monde de la musique, pourquoi ne pas acheter un album à écouter à la maison ?

Pour l'inciter à continuer je mis un billet dans son chapeau posé à l'envers sur le sol. Il n'était pas très rempli mais j'espère qu'à la fin de la journée il le serait. Me voyant attendre, il se lança dans un autre air.

"La vie n'est qu'un receuil de tragédies, de comédies, de supercheries. Elle ne fait que commencer, mais vous dit déjà quand c'est fini.

Vous naissez, vous vivez, vous souriez, vous pleurez, et il y a bien une chose qui ne peut pas être oublié, chez vous les gens insensés. C'est que vous vous dites qu'au moins, vous vous serez amusé.

Mais c'est faux !

Quand vous serez seul, en train d'agoniser, en train de supplier la vie de vous épargner. C'est là qu'émergera les responsabilités, comme celle de porter, le poid de la honte, du regret et de la culpabilité !

Mais qu'avez vous fait, de toutes ces années ? Car désormais, vous allez crever.
Et ce n'est qu'en étant face à la mort, que naît alors le remord, et c'est à ce moment, que vous réalisez vos tords !

Mais maintenant c'est trop tard, vous allez droit à l'abattoir. Vous n'étiez qu'un rat de laboratoire, qui ne faisait que broyer du noir, et pour qui, suivre le troupeau n'était pas dérisoire. Vous avez perdu votre place lors des éliminatoires! Maintenant, c'est la fin, vous avez perdu la victoire.

Vous avez perdu la victoire.

Et il n'y a pas de chance de réessayer car la vie, elle est bien limité. Et gardez bien ça en tête: vous avez tout gâcher.

Vous avez perdu la victoire."

Pour ne pas casser cette routine, une tristesse nostalgique m'envahit et de mes yeux naissent des gouttes d'un liquide salé. Les larmes perlent avant de glisser sur mes pommettes. Son oeuvre est une création emblématique et rocambolesque de ce monde, si réaliste et poignant qu'il m'en  donne des frissons. Les poils hérissés, la chair de poule, les tremblements, tous étaient présents se retrouvant être symboliquement l'image de ma fascination. Cette chanson, n'a fait que m'affirmer dans ce monde. Je ne souhaite bel et bien qu'une chose, et c'est bien de changer cette terre où je suis né. Je suis peut-être venu ici bredouille mais je partirai pas ainsi. Aussi infime qu'il soit, je dois apporter quelque chose, peu importe quoi, quand et où, je dois faire quelque chose. Décidément, c'est hallucinant comment nous arrivons à nous adapter à un environnement, je pense que c'est un de nos plus grand talent nous les primates modernes. Et aussi phénoménal et faramineux que celà puisse paraître, j'ai une confidence à faire. Tout compte fait, j'aime ce monde et ces habitants et ma plus grande erreur a été de toujours tout généraliser, mais vous ne pouvez pas m'en vouloir. Ce sont les stigmates de l'enfance qui vous colle à la peau, les séquelles de la jeunesse aussi mélancoliques et omniprésents soient-elles. 

Je sors du bureau de mes pensées. J'ai tant envie de lui dire à quel point je suis reconnaissant qu'il ait partagé son talent avec moi, j'aimerai tant lui dire que ce simple petit refrain à changé ma perspective des choses, je voudrais lui dire tant de choses mais devant un tel génie, je ne peux que rester muet. Je me rapproche et me penche pour déposer une liasse de billets, regroupant le salaire de ma fin de mois,  dans son petit chapeau en espérant qu'il n'arrêtera jamais ce qu'il fait et que je pourrais encore une fois, un de ces quatre l'écouter. Me redressant, une main venant elle aussi déposer de l'argent effleura la mienne. Le possesseur de cette main s'excusa avec une voix très féminine. Je tourna le visage pour l'apercevoir et les larmes à  elle aussi, ruissellaient sur son divin visage. C'était elle.

Le Rêve D'une vie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant