Chapitre 3

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S'agitant frénétiquement de gauche à droite, la queue de Callista semblait ravie de cette liberté retrouvée. Coincée dans l'uniforme lors de sa réapparition, elle avait causé une vive douleur à sa propriétaire en signe de protestation. La démone caressa l'appendice en soupirant et osa lever les yeux en direction du miroir. Deux cornes argentées et légèrement courbées juraient dans la masse flamboyante de sa chevelure. Bien qu'assez petites, elles n'avaient rien de discret. La succube, blasée, alla s'asseoir sur son lit. Si elle avait repris sa véritable forme, c'est qu'elle ne s'était pas suffisamment nourrie. D'ailleurs, depuis combien de semaines n'avait-elle pas mangé ? Entre sa rébellion, la punition de ses parents, sa fuite et son temps ici, plusieurs mois s'étaient écoulés. Il n'était ainsi pas étonnant qu'elle ne puisse plus conserver son apparence humaine. À dire vrai, elle se sentait fière d'elle d'avoir tenu si longtemps sans dévorer une âme. Toutefois, trop occupée à planifier son évasion des Enfers, Callista n'avait pas réfléchi à la façon dont elle parviendrait à se nourrir une fois en sécurité entre les murs chaleureux du couvent.

Elle s'allongea sur le ventre, sa queue écailleuse oscillant au rythme d'une mélodie inaudible. Après réflexion, la démone réalisa qu'une seule et unique solution s'offrait à elle. Ne pouvant pas encore quitter l'enceinte du monastère, elle devrait forcément se rabattre sur l'une des résidentes. Et bien qu'elle ne possède pas de conscience à proprement parler, elle n'avait guère envie d'assassiner l'une des nonnes. Toutes, sans exception, l'avaient accueillie chaleureusement et ne lui avaient jamais posé de questions intrusives. Grâce à ces femmes, elle se retrouvait à l'abri et s'était découvert une véritable passion pour l'étude et la comparaison d'ouvrages mystiques. Pourtant, Callista n'avait plus le choix. Elle ne pouvait déambuler dans un lieu saint sous sa forme originelle. Impossible. Impensable.

Sa queue, aux reflets carmin et cuivrés, s'enroula autour de sa taille, comme à chaque fois qu'elle devait prendre une décision. Il s'agissait d'une réaction considérée comme enfantine, mais elle ne pouvait s'en empêcher. Souvent, ses frères et sœurs s'étaient moqués à cause de cette habitude. La succube caressa doucement sa corne droite, ses doigts fins glissant sur la texture râpeuse. Elle devait sélectionner sa cible, et vite. Sœurs Maria et Élyse furent éliminées d'office, tout comme la mère supérieure. Elle passa en revue toutes les autres religieuses et son choix s'arrêta sur la plus âgée. Quitte à tuer quelqu'un, autant qu'il s'agisse d'un individu ayant déjà bien profité de son existence et étant plus près de la fin que du début.

Callista s'étira et n'enfila que ses sous-vêtements. Elle pouvait facilement se rendre indétectable aux yeux des humains, et moins elle portait de tissu, plus ses mouvements se révélaient fluides et précis. Croisant son reflet, elle observa un instant ses iris qui de bleu gris avait mué en glace pure, surnaturelle et éclatante. Il s'agissait là du trait physique qu'elle chérissait et adorait le plus chez elle. Lilith l'avait d'ailleurs menacée de les lui arracher à plusieurs reprises. Si la succube venait à retourner en Enfer, ce serait probablement ainsi que commencerait sa torture éternelle.

La rousse entendit la cloche sonner une ultime fois, signal du début de la nuit et du couvre-feu. Parfait. Elle avait jusqu'à l'aube, soit bien plus de temps que nécessaire, pour se nourrir. Sans bruit, elle ouvrit sa porte et se faufila dans le couloir sombre et désert. Longeant les murs en pierre apparente, les ombres s'enroulaient autour de son corps dans un ballet incessant, lui permettant de devenir invisible pour un regard mortel. Ses pieds nus foulaient en silence les pavés glacés et poussiéreux, tandis qu'elle se mouvait à une vitesse impressionnante.

Deux fois à droite, une fois à gauche. Elle atteignit les escaliers Ouest menant au premier et unique étage, où résidaient la mère supérieure et les religieuses de plus de cinquante ans. Les marches encore glissantes après une fuite d'eau quelques heures auparavant, ne donnèrent toutefois aucune difficulté supplémentaire à Callista. Elle avait suffisamment d'expérience et de maîtrise pour parvenir à se déplacer dans n'importe quel terrain ou environnement. Les ombres la dissimulaient toujours, mais elle ne prit pas le risque d'admirer la splendeur de la nuit par la fenêtre, malgré son envie irrésistible de contempler la lune, qui devait probablement se rire d'elle et de sa situation saugrenue.

CallistaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant