Chapitre 14 : Grand Départ (2/3)

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Les pirates s'entraînèrent toute la matinée à hisser, affaler, prendre des ris, virer de bord et empanner, afin d'apprivoiser les manœuvres, les vergues et les boutes du cotre. Après le déjeuner, ils palanquèrent les canons dérobés le matin même et les placèrent dans leurs sabords respectifs. Malgré tous leurs efforts, le Renard se trainait au travers comme un galion au petit largue. S'ils avaient réussi à débarrasser en dernière minute la poupe des coques, huîtres et autres coquillages qui la rongeaient, ils n'avaient pas eu le temps nécessaire pour réaliser ce même travail sur l'avant du navire. De plus, la disposition des canons sur le pont n'arrangeait pas l'équilibre du navire, Xao ayant insisté pour que les pièces les plus puissantes, mais aussi les plus lourdes, soient concentrées à l'avant du corsaire, pour surprendre leurs adversaires dès la première bordée. Il en résultait que le Renard piquait franchement de la proue, ce qui impactait son comportement au vent, et sa réactivité dans les manœuvres.

Seize heures sonnèrent et il fut temps pour tout le monde, en dehors du tiers bâbord, d'aller se reposer. Surcouf interpella les garçons et leur demanda de le suivre dans sa cabine. Située à la poupe du cotre, sous le gaillard d'arrière, la cabine du capitaine était autrement plus petite que celle du marquis sur l'Hermione, c'était à peine si on avait réussi à y faire entrer une minuscule couchette et un bureau sur lequel étaient disposés les cartes et autres instruments de navigation d'Azimut. Surcouf leur demanda de s'asseoir sur sa couchette, et de ne pas bouger. Il alla dans le coin opposé de sa cabine, et rapporta les deux rapières achetées au Gaffiot.

— Tenez, leur dit-il en leur tendant les armes, dans leurs fourreaux. Voici deux lames à la hauteur de ce que vous représentez pour moi. Ce sont des rapières de très bonne facture, et j'espère qu'elles vous serviront fidèlement, même si je souhaite que vous n'ayez jamais besoin d'en faire usage.

Il ajouta à l'adresse d'Oscar.

— Cette arme appartenait à Zélia, quand elle avait ton âge. Je pense qu'elle sera heureuse que tu la lui présentes, et suis certain qu'elle voudra te proposer d'échanger quelques passes avec elle. Allez, maintenant, il faut vous reposer, car votre quart arrivera plus vite que vous ne le pensez.

La nuit avait été courte, et Oscar, comme Mircea étaient épuisés. Ils se couchèrent dans leurs hamacs, sous le pont principal, accrochant leurs nouvelles rapières à un clou dans les membrures de la coque et s'endormirent presque immédiatement. Ils ne prirent leur quart qu'à minuit, réveillés avec tendresse par Alizée qui venait de finir sa ronde, et montèrent sur le pont. Sur l'Hermione, ils étaient considérés comme des mains supplémentaires, appelés qu'en cas d'extrême urgence ou venant se rajouter aux gabiers de quart pour aider aux manœuvres, et n'avaient jamais eu de réelles responsabilités. Désormais, ils étaient des gabiers à part entière, de vrais petits corsaires, et leur rôle à bord était tout aussi important que celui de Mériadec et d'Hyppolyte. Ce dernier leur fit arpenter le navire de l'étrave à l'étambot, leur rappelant les divers rôles des hommes de quart. Rôle de vigie, à la proue et à la poupe, rondes pour avertir d'un départ de feu, ajustement de la voilure, contrôle de la quantité d'eau dans la cale, et ajustement de la barre pour suivre le cap fixé par Azimut. A la barre, justement, Victarion regardait les étoiles afin de se repérer, jetant régulièrement des regards sur la grande boussole du navire. L'ancien pêcheur avait revêtu la redingote bleu marine de l'ancien capitaine du Renard, qu'il avait retrouvé dans un vieux coffre resté dans la cabine de ce dernier, et qu'occupait désormais Surcouf. Le tissu était orné de fil doré et portait des épaulettes à frange d'or. Victarion portait également le grand chapeau à plume de paon de ce même malheureux capitaine. Il avait fière allure, le vent s'engouffrant dans sa veste et faisait frémir la plume de son couvre-chef. C'est Dents-Longues qui vint le relayer à la barre, afin que le vieil homme puisse se reposer, son quart était terminé. Le ciel était dégagé et les étoiles brillaient par milliers au-dessus de l'eau, une douce brise soufflait dans la mâture du Renard qui avançait, toutes voiles dehors, sur les eaux calmes de la mer des Caraïbes. Les cordages grinçaient chaque fois qu'un pirate grimpait dans les haubans, pour relayer la vigie dans la hune.

Un été en mer de Jade, Partie 1: Mission RoyaleWhere stories live. Discover now