2 - Sardetoiles, Nuit de décembre

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« Hey bro, calme toi ! Reste humble !

– Mais putain regarde ces fils de putes qui savent pas jouer là ! Pourquoi y'a des gosses de douze ans putain ? Qu'on dise à sa mère d'arrêter de lécher les couilles d'ses clients et de s'occuper d'ses gosses là bordel !

– Eh, Andréas, calme. On est là pour s'amuser, donc tu prends ton petit verre de Quezac et tu te rappelles qu'y'a un mot qui désigne la note finale d'un ouvrage indiquant le nom de l'imprimeur, que c'est colophon, et que ça, c'est quand même merveilleux, et tu te détends. »

D'un ton — il ne l'aurait jamais admis — quelque peu boudeur, il concéda à son ami qu'il avait raison et laissa la pression redescendre. Il se l'était souvent dit, mais l'effet qu'avait l'autre homme sur lui était définitivement bien trop puissant, il était bien le seul à être capable de lui faire reprendre pied si aisément. Il sourit doucement devant sa cam tout en entendant l'éclat de rire léger de l'autre streamer, imaginant la manière dont son écran illuminait ses yeux et faisait briller ses cheveux dans la pénombre de son appart'.

Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas été chez lui, notamment à cause de la Dreamhack, il avait envie de le revoir. Pourquoi ? Il n'était pas prêt à mettre un nom sur cette raison, alors il dirait qu'il n'en savait rien, que c'était juste comme ça.

Un dernier message à la caméra et il coupe son live, encore quelques paroles, un « bonne nuit » échangé, et il ferme Discord.

Il n'a pas prêté attention à l'heure mais la nuit est très avancée, alors à peine le temps de passer par la salle d'eau et de retirer son t-shirt qu'il s'effondre dans son lit. Mais impossible de fermer l'œil. Le plafond blanc lui renvoi son image flou dans la pénombre, et ses yeux pourtant lourds ne se ferment pas. Son esprit passe d'une pensée à une autre dans un tourbillon épuisant qui éloigne Morphée de lui. Les minutes passent, puis les heures.

Toute sa vie se trouve remise en question par ses errances nocturnes, l'incertitude de son métier, auquel il a tout consacré, en délaissant ses amis, sa famille, cette fille avec qui, peut-être, mais qui avait disparue de sa vie parce qu'il ne lui avait pas consacré de temps. Et puis son ami, Etoiles, l'homme cultivé et humble, heureux et drôle, fragile et beau. Et pansexuel.

Quand il l'avait appris, il s'en souvenait encore, il lui avait dit sans détour il y a quelques semaines qu'avant de le connaître il avait eu une légère attirance envers lui. Putain, il en avait complètement perdu ses mots sur le moment. Il lui avait dit juste après. Mais le premier truc qui l'avait fait réagir, c'était surtout le « avant de te connaître ».

Ça voulait clairement dire qu'il l'attirait physiquement mais qu'en apprenant à le connaître, il l'avait trouvé quoi, dégoûtant mentalement ? Pourtant, ils étaient amis non ?

Il pensait s'être déjà suffisamment tourmenté sur la question, apparemment il suffisait que le sommeil se joue de lui pour qu'il y repense. Et, ses pensées déviants toujours, il acceptait de se rendre compte que ça le blessait réellement. Parce que, peut-être que lui, il aurait aimé être plus intime avec le malade. Après tout, il le connaissait bien, avait une confiance totale en lui, savait qu'il pouvait le raisonner et plus important encore, le supporter pendant des heures. Reconnaissait sans mal les qualités de l'autre homme, persévérant, fidèle, amusant, cultivé... Il trouvait même ses petits défauts attirants, sa maladresse attendrissante, et il voulait être le roc sur lequel il pouvait s'appuyer quand le stress le consumait. Et puis, il était plutôt bel homme son ami. Svelte, avec sa barbe de quelques jours, ses lunettes lui donnant un petit côté bon garçon. Il avait rencontré ses parents, malgré un début difficile avec sa mère, c'était deux personnes agréables et très accueillantes. Il s'imaginait sans mal un futur dans cette famille. Son père voulait des petits enfants, est-ce qu'ils adopteraient ? Est-ce qu'il se sentait capable d'assumer des gosses, un jour ? Dans la théorie, oui, il le supposait.

Calendrier de l'Avent (2019)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant