Chapitre 9

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*** Jade ***

Le trajet est passé en un clin d'œil. Je redoute ce qu'il va se passer mais j'ai quand même pris le temps d'apprécier la sensation de vitesse et de vent dans mes cheveux. Et de serrer Colin. Je ne sais pas pourquoi je l'ai suivi. C'était comme si mon corps ne m'obéissait pas ... Arrivés à son appartement, il a l'air aussi crispé que moi.

‒ Tu veux une bière ?

‒ Volontiers.

Au moins, ça m'aidera à me détendre. Il part chercher des bières dans son frigo. Lorsqu'il m'en tend une, j'en avale la moitié d'un trait. Il ne bronche même pas. Nous descendons dans le sous-sol.

‒ Fini ta bière.

J'obtempère en le regardant.

‒ Mets-toi devant le clavier. Ferme les yeux et joue comme si je n'étais pas là.

Je suis ses ordres et m'approche du piano électrique. Je pose mes doigts sur le clavier, prend une grande inspiration et ferme les yeux. Je commence doucement quelques arpèges. Mes doigts sont toujours crispés, les premières notes sortent difficilement. L'image de Colin en train de grimacer me vient en tête. Concentre-toi sur la musique Jade, mets-toi dans l'état d'esprit de l'autre soir. Je me force à respirer profondément et je garde les yeux vigoureusement fermés. Je revois Colin tel qu'il était sur scène, transfiguré par la musique, comme s'il était dans un monde inaccessible au commun des mortels. Je veux jouer pour ce Colin-là, je veux lui dire tout ce que je ressens par ma musique. Peu à peu, mes doigts se délient, je me sens plus légère, je m'isole dans cette bulle musicale où rien ne peut m'atteindre. Lorsque mes doigts sont suffisamment détendus, je me lance dans un morceau de ma composition.

Je m'adresse à Colin à travers la musique, je lui transmets toute la haine et toute d'attirance que je ressens pour lui. La musique me transperce de part en part. J'en oublie sa présence et me déchaine. Enfin ! Mes mouvements sont fluides, naturels. Mes doigts glissent sur les touches avec la légèreté d'une caresse. Dans ce morceau improvisé, les notes se composent de désir et de frustration. Le mouvement s'accélère, je mets de plus en plus en force dans mes appuis. Colin se joint au bœuf avec sa guitare. Les notes qui résonnent dans ma tête s'harmonisent parfaitement au son de sa guitare. Ou est-ce sa guitare qui se coule parfaitement sur mon piano ? Pour la première fois, j'ai l'impression que l'on se comprend. Ça peut paraître étrange mais c'est comme si un vrai dialogue s'était installé entre nous. Nous nous laissons tour à tour le contrôle de la mélodie pour que l'autre puisse s'exprimer. Colin se met à chanter. Il me dit d'ouvrir les yeux au milieu de ses paroles. Je redoute de faire ce qu'il me dit, j'ai peur de découvrir l'expression de son visage, j'ai peur de le voir dépité et agacé comme d'habitude. Mais la musique qui sort de mes doigts en ce moment n'est pas comme celle qui sort d'ordinaire en sa présence.

Alors je me jette dans la gueule du loup et ouvre les paupières, advienne que pourra. Une expression béate et satisfaite s'est épanoui sur son visage, il ressemble au Colin de la scène, transfiguré et extatique. Et c'est ma musique qui lui fait cet effet ! Nos yeux se croisent, son regard m'hypnotise. Je redouble de passion et lui dis tous mes sentiments à travers la mélodie. Il enchaîne les accords et prend le contrôle de la mélopée. Lorsqu'il accélère le tempo, comme pour amplifier mes notes brûlantes de désir et de frustration, je le suis. Mon cœur bat à cent à l'heure. Colin a l'air de fournir un effort considérable, il accélère de plus en plus et ne me quitte pas des yeux. Nous ne faisons plus qu'un. La connexion qui nous lie l'un à l'autre est si profonde, c'est comme de faire l'amour. Peut-on faire l'amour à travers la musique ? Il m'enveloppe de son regard et cela me donne des ailes. Je reprends le contrôle de la musique et impose un rythme infernal. Nos yeux sont reliés par un fil de fer.

Silly Night - Colin [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant