Chapitre 3

1.9K 223 33
                                    

Alec

— Alec, tu devrais rentrer te coucher mon gars. Ça ne résoudra rien...

— Va te faire foutre, Clay, ressers-moi !

J'ignore sciemment son air désapprobateur et porte le verre empli de liquide ambré à mes lèvres. À partir d'un certain nombre, j'ai cessé de compter. Je ne sens à présent plus, ni l'odeur du breuvage, ni la brûlure de l'alcool, ni même son goût. De toute manière, tout ce que je souhaite c'est sombrer, et je suis sur la bonne voie, à n'en pas douter.

Putain de journée de merde !

Non content d'enterrer ma meilleure amie, officiellement ma femme depuis trois mois, il a fallu qu'elle soit là. Elle, et son visage de princesse conquérante. Elle, et son foutu regard à vous en crever les yeux. Elle, et sa bouche à damner un saint.

Bordel !

Je finis mon verre cul sec et le repose avec force sur le comptoir crasseux du seul pub aux alentours. Plus de dix putain d'années que je ne l'avais pas vue, et jamais je n'aurais cru la revoir un jour. Je savais que Beth et elle étaient toujours en contact de manière épistolaire. Beth gardait ses secrets, et Gabrielle Stone était tabou entre nous, comme dans toute la ville à vrai dire... Elle était devenue comme un fantôme dont on proscrit le nom par crainte qu'il ne revienne vous hanter.

Fais chier !

Quand elle est apparue, j'ai cru un instant que la fatigue me donnait des hallucinations. Elle se tenait là, bien droite au centre de l'allée, telle une reine devant ses sujets, dédaignant les mauvaises langues murmurant tout autour d'elle. J'ai suivi sa progression jusqu'à ce qu'elle prenne place en bout de banc. Puis, son visage de glace s'est métamorphosé peu à peu, adoucissant ses traits, lorsque sa joue s'est posée sur celle de cet homme. Son mari.

— Un autre, grogné-je.

Elle est mariée...

Après l'église, j'ai cru qu'elle était partie, que le mirage s'était dissipé. Pourtant, j'ai guetté à chaque instant son apparition. Quand elle a passé le pas de la porte aux côtés de cet étranger, j'ai été incapable de ne pas m'approcher. Comme un putain de papillon attiré par la lumière ! Je comptais déverser sur elle cette colère qui me dévorait depuis tant d'années, mais je n'avais pas prévu la suite.

Son mari... Beth était-elle au courant ?

Il faut que je boive pour ne plus penser, pour empêcher toute cette merde de me retourner le cerveau. L'oublier elle, tout simplement, et l'ensemble des souvenirs qu'elle ramène à la surface par sa seule présence.

J'entends la porte grinçante du bar claquer derrière moi, mais reste immobile à fixer mon verre vide que ce connard de Clay refuse de remplir à nouveau. J'ai conscience d'une présence approchante, comme de toutes les personnes évoluant autour de moi, constamment en alerte, prêt à passer à l'action au moindre problème. Bordel, même au plus mal, mes instincts restent acérés, comme ancrés en moi, gravés dans mes os !

— Je savais bien que je te trouverais là, mon garçon.

Monsieur Kerington... Clay a dû le prévenir, rien ne reste jamais secret à Richmond ! Je foudroie ce dernier du regard et il me tourne prestement le dos.

Dégonflé !

— Tu es parti très vite, je n'ai même pas eu le temps de te parler.

Je ne réponds rien, mes lèvres fermement scellées, de peur que mes paroles ne dépassent ma pensée. Outre la quantité phénoménale d'alcool dans mon sang et mon esprit embrumé, je ne peux ni ne veux écouter ce qu'il a à me dire. Je connais cet homme depuis ma plus tendre enfance, et là où mes parents ne sont que froideur, lui et sa femme m'ont toujours accueilli, soutenu et poussé avec une bienveillance qui faisait défaut à mon foyer.

Opération Reddition - éditéWhere stories live. Discover now