Acceptation

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Caen, début septembre, rue caponière. Il fait encore bon dehors, alors que bientôt l'été va tirer sa révérence. Il est 18h, et Jules regarde passivement le soleil se coucher à travers l'immense vitre de son salon Il est avachi dans son fauteuil, aussi déglingué que lui. Au bec une roulée très mal collée, qui tient du miracle, mais qu'il fume quand même non sans peine. Elle tient comme si elle essayait de faire de son mieux pour lui, piteuse. Comme si elle prenait parti pour lui et sa douleur. Compatissante.

L'appartement est enfumé, ce doit être je pense, la cinquantième cigarette de la journée, journée qu'il a passée ici, encore, ayant prolongé son arrêt de travail, encore, un nombre incalculable de fois. En fond, sa techno abrutissante le berce comme s'il écoutait "la sérénade" de Schubert, ce boum boum en totale contradiction avec sa faiblesse. Il a le regard fatigués. Ses paupières sont gonflées et tombantes de fatigue, les yeux rouges brûlés par la fumée condensée dans son taudis. 

Jules n'a que 35 ans, et pourtant il en parait 50. Il s'est laissé abattre par cette fille en quelques jours, après avoir lutté toute sa vie contre une montagne de problèmes. Faut dire qu'il a trop tiré sur la corde le bonhomme. Son mode de vie pas clair a pris les rennes, la drogue qu'il prenait tous les weekends s'est petit à petit installée la semaine, pour se mélanger à l'alcool et aux idées noires. Ça creuse les traits ces saloperies, sans qu'on s'en rende compte. Il est de ces hommes qui ne veulent pas vieillir, perdus entre deux générations: l'instabilité permanente le rassure car la routine, ça il n'en veut plus. Ça fait déjà quelques années, depuis que son premier amour s'est tiré avec ses mômes, en le dépouillant de tous ses biens. Il est perdu le Jules. Il n'est ni beau ni laid, mais fait parti de ces types agréables, doux, présents et dociles qu'on aime avoir pour ami. Ceux qui font rire, et qui bloquent le temps et les soucis, le temps d'un instant. Ceux qu'aiment pas être seuls et cherchent toujours une occasion de sortir boire un canon, et déconner. C'était ça qu'elle cherchait l'Iris, un ami avec qui s'évader. Un ami avec qui oublier.

Il tire sur sa clope, éteinte puis la jette par terre,  visant une vieille canette en alu, probablement ici depuis quelques semaines; le cendrier qui déborde de vieux mégots lui parait bien trop loin, ça lui coûterait l'effort de se lever

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Il tire sur sa clope, éteinte puis la jette par terre,  visant une vieille canette en alu, probablement ici depuis quelques semaines; le cendrier qui déborde de vieux mégots lui parait bien trop loin, ça lui coûterait l'effort de se lever. C'est pas n feignant le Jules, mais là.. c'est impossible. Alors il vise, mais loupe. De la force, il n'en a plus. Il dort par tranches de 30 minutes, deux à trois fois par jour. Enfin il ferme les yeux. Il a même pas le temps de dé-saouler, qu'il se jette trois quatre bières bon marché derrière. Il pense qu'il oublie qu'il a mal, alors qu'il entretient sa douleur. Bloquant sur le spectacle du soleil qui se couche et de ses douces couleurs panachées, l'espace d'un instant, il se ressaisit et se frotte le visage avec ses mains moites et noircies de crasse, regarde son téléphone en plissant davantage ses yeux épuisés, et se fait la désolante remarque : cela fait aujourd'hui trois mois qu'Iris est partie. 


En fait, il compte les jours et y pense tout le temps, mais là, une femme brune qui promenait son chien dehors lui a rappelé Iris. Jules n'aime pas l'entendre, mais ça fait trois mois qu'elle l'a abandonné. Comme une merde. Trois putain de mois qu'elle s'est tirée, en le laissant seul face à lui même. Elle qui semblait l'avoir un peu trop dans la peau comme disaient les autres, a fini par partir  une étouffante matinée de juin, et ce sans sans rien laisser transparaître. Elle est partie comme on part chercher du pain. Mais elle n'est jamais revenue. Elle a montré un visage qu'il ignorait d'elle, l'Iris lâche, elle qui était si forte et dure, qu'il admirait pour sa répartie et son culot. La grande gamelle d'Iris; c'est ce qui l'a séduit en second plan, après ses grands yeux bleu. Cette facilité à dire des choses pas  forcément plaisantes, sans passer pour une connasse. Et ce culot qu'il n'avait jamais eut, la rendait si désirable... Il l'admirait pour son aplomb. Et pourtant, elle est partie sans un mot, sans un signe, sans même lui dire qu'elle ne reviendrait pas. Comme ci elle était effrayée d'affronter en plus du chagrin qu'elle imposerait, sa propre culpabilité. 

Nuit de jourWhere stories live. Discover now