Échappée vive

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Des ombres défilaient sur le sol de la forêt, tandis que la troupe à l'allure disparate la parcourait. Za ne semblait avoir aucun mal à se déplacer dedans, malgré le nombre d'obstacles rencontrés. Il maintenait une cadence régulière, efficace, qui permettait tout de même aux Alfides de le suivre.

Thundarius, maintenu par Jacriph, grimaçait de temps en temps. Mais c'étaient les seuls signes de douleur qu'il montrait. Le deuxième Général, lui, reprenait peu à peu des forces. Le fait d'être en forêt, même celle-là, le revigorait. Cela se voyait bien.

Quant aux deux plus jeunes, ils suivaient sans trop forcer. Des deux, c'était le cadet qui avait le plus de mal à suivre. Mais il tenait bon, conscient qu'une vie était en jeu. Salia elle, faisait des foulées régulières, presque mécaniques. Perdue dans sa course, elle ne pensait plus à rien, concentrée sur sa respiration. Ainsi, la petite troupe se dépêchait, essayant de sortir au plus vite de la forêt mortelle.

*

Aarius tourna dans une ruelle puis dans une autre, conscient que c'était sa seule chance de fuite. S'ils le trouvaient, il ne pourrait jamais repartir. Il tourna dans une nouvelle ruelle et jeta un bref coup d'œil en arrière.

Personne. Pour le moment, il les distançait de quelques minutes à peine. Le but allait être de rallonger ce temps, pour parvenir en un morceau à la porte Est. Il fallait qu'il les sème. C'était devenu vital pour sa survie. Rabaissant un peu plus sa capuche, le jeune soldat pressa le pas, augmentant la cadence. Il craignait à présent au pire pour sa vie, au mieux pour un temps d'enfermement indéterminé. Ça ne fit qu'assombrir son humeur un peu plus.

Soudain, des cris se firent entendre dans son dos, en direction de la place. La chasse était-elle lancée ? Peu importe. Aarius se mit à courir, enfilant les ruelles les unes après les autres. Son ouïe affinée lui permettait d'éviter les rues encombrées ou dangereuses. Il courut encore une bonne dizaine de minutes avant de s'arrêter dans l'ombre d'un porche, presque invisible.

Il attendit, le temps de reprendre son souffle, puis écouta. À part les clameurs lointaines de la foule et quelques soldats hurlant des ordres ici et là, personne. Il allait arriver dans le quartier industriel, qui faisait deux-tiers de la ville. Le soulagement l'envahit. À partir de maintenant, il serait difficile de le rattraper. Mais le plus dur serait de passer la porte. De toute façon, il n'avait plus le choix. Inspirant un bon coup, il reprit sa course vers la liberté.

*

Les ombres sur le sol défilaient à toute allure. Le groupe venait de repartir, après quelques minutes de pause. L'état de Thundarius restait stable, mais cela inquiétait tout de même Salia, qui espérait qu'il arrive à tenir. Jacriph lui, avait presque récupéré toute son énergie et maintenait son ami sur le dos du Gardien. Celui-ci avait laissé Laocris se mettre sur l'une de ses pattes. En effet, le jeune homme, fatiguant, n'arrivait plus à suivre. Alors, pour se soulager, tout en n'encombrant pas le Sylvain, il alternait entre course et repos sur sa patte.

De l'extérieur, c'était très étrange : Lao courait une centaine de mètres en gardant sa main sur la peau du Gardien puis, quand il commençait à ralentir, il sautait sur l'énorme patte de leur sauveur et se reposait un peu. Za, lui, courait, imperturbable. Comme il faisait partie de ces espèces pouvant porter trois ou quatre fois leur poids, celui des trois Alfides réunis ne le gênait pas. C'était plutôt la place qui manquait.

Salia, elle, restait aux côtés de ses proches, avançant par ses propres moyens. Une foulée à la suite de l'autre, elle avançait, infatigable. Ce n'était rien comparé à certains de ses entraînements. Elle ne se plaignait donc pas, se contentant de vérifier l'état des siens d'un rapide coup d'œil.


Za poussa un étrange cri. C'était un signal. Quelques secondes après, Lao sur sa patte, les deux Généraux bien cramponnés, le Sylvain sauta un ravin. Des piques venant de plantes à l'aspect étrange en couvraient le fond. Prenant son élan, l'autre coureuse passa elle aussi le piège et revint aux côtés de leur guide. Depuis leur départ, ce petit jeu s'était déjà reproduit quelques fois, prouvant à maintes reprises la dangerosité de la forêt...

Le Gardien jeta un regard en coin à Salia puis prit brièvement la parole.

- Courage Alfides, nous sommes bientôt arrivés. Il reste encore vingt petites minutes de course et nous serons près de l'orée de ces bois.

Les quatre autres acquiescèrent, heureux de bientôt retrouver le ciel et les champs de leur patrie. Thundarius se redressa un peu, maintenu par Jacriph qu'un grand sourire éclairait. Laocris profita encore un peu de l'élan du Sylvain puis repris sa course, bien décidé à tenir jusqu'à la sortie. Et Salia, elle, inspira profondément avant d'allonger ses enjambées, pressée de retrouver son pays. Za, amusé, accéléra lui aussi un peu, histoire de rapprocher la délivrance. Bientôt, le dernier groupe du commando de libération du Général reviendrait au pays.

*

Aarius était enfin dans le quartier industriel. Les grandes usines, grises, étaient à l'arrêt. C'était la semaine de repos. Hormis les quelques gardiens circulant à heures fixes pour vérifier les installations, il n'y avait pas âme qui vive. Cela faciliterait grandement le passage du fuyard, qui voulait rester discret. Comme c'était un grand quartier de la ville, il mettrait minimum cinq à dix minutes pour le traverser. Mais, au moins, il n'était pas obligé de courir tout le temps.

Il passa une guérite vide. Chacun de ces petits postes de surveillance était placé à des endroits stratégiques et des caméras filmaient en permanence. Mais Aarius, qui n'aimait pas cette technologie humaine, portait sur lui en permanence un brouilleur utilisant son flux vital. Ainsi, même si la caméra pointée sur lui était loin (ce qui était le point faible des brouilleurs humains), il restait invisible.

Il ne savait pas comment l'appareil fonctionnait mais il lui suffisait de le placer sur l'une de ses oreilles et il disparaissait des archives vidéo de la ville. L'Alfide avait percé la gauche, utilisant le prétexte de la boucle d'oreille pour glisser le dispositif là. Grâce à Zeika, à l'origine de ce petit appareil, il avait en permanence le brouilleur sur lui, sous forme de bijou stylisé.


Esquissant un sourire, il tourna dans une grande allée. Il y avait peu d'endroits où se dissimuler mais ce serait assez pour lui. Après tout, il avait été en contact avec la famille du Général du Camouflage et il en avait beaucoup appris. C'était le dernier rempart entre lui et la porte Est de la ville, qui le séparait de sa liberté.

Sa seule crainte était que ses poursuivants l'aie devancé et qu'ils l'empêchent, d'une quelconque façon, de passer. Il n'était pas un surhomme, ce n'était pas certain qu'il s'en sorte. Au bout d'une minute, il arriva au bout de la rue et se rapprocha du côté droit. La rue donnait sur une autre, perpendiculaire, qui menait à droite aux remparts et à la porte Est.


Celle-ci n'était presque jamais utilisée, n'étant pas la plus belle ni la plus grande des quatre portes de la ville. On ne l'empruntait que pour les livraisons spéciales... Ce qu'il était, en quelque sorte. Passant prudemment le haut de sa tête au-delà du mur formant le coin, il jeta un regard circonspect à la rue de la porte. Il avait eu la bonne idée de s'agenouiller avant, mettant sa tête assez prêt du sol. De cette manière, il était moins repérable.

Et il avait bien fait. Un groupe de Chevaliers, au moins quatre, attendaient devant les battants. Ils le guettaient. Aarius était dans une impasse. Il n'arriverait peut-être pas à sortir de la ville...

*

La SilhouetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant