Chapitre 1

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8 minutes 30. C'est le temps qu'il me reste à tenir dans cette boîte de conserve à ciel ouvert avant d'arriver à mon terminus, enfin. 8 minutes 30, je regarde à droite et à gauche, mes écouteurs dans les oreilles. « Il est hélas devenu évident aujourd'hui que la technologie a dépassé notre humanité » disait Einstein, et je me rends de plus en plus compte qu'il avait raison. La chaleur humaine dans les tramways bordelais avait disparu, plus personne ne parlait, plus personne ne souriait, tous tête baissée comme hypnotisés.

Aujourd'hui j'ai rendez-vous avec ma meilleure amie et d'autres amis. Amis, c'est un terme tellement large pour décrire l'indéchiffrable. On parle de nos amis quand ce sont des connaissances, on parle d'amis quand on aime bien la personne, on parle d'amis ou de petits amis quand on aime avec un grand A. Pour être plus précise, on parle d'amis de l'amitié à l'amour, du plaisir des jeux au plaisir pur, du rire aux larmes, du réel à l'irréel.

4 minutes, il me reste le temps de me présenter. Je m'appelle Victoria, mais on m'appelle Vic car mon prénom est trop long. Je suis née à Paris, mais suite à la séparation de mes parents et la perte d'emploi de ma mère, on a été relégué dans une ville secondaire, dans un quartier populaire de Bordeaux. La fille avec qui je vais aux Beaux Arts, c'est Marie, mon amie depuis que je suis arrivée à Bordeaux il y a 3 ans. Au départ, elle habitait dans le même quartier que moi et on est allé dans le même lycée. Il y a 9 mois, ma mère a retrouvé un emploi stable et on est redevenus des Fréquents. Ma mère a essayé de leur proposer de l'aide à Marie et sa mère, qu'ils ont très froidement refusé. Derrière ses difficultés financières, Marie ne veut rien laisser paraître alors elle s'achète une tonne de vêtements à chaque solde, ses parents disent qu'elle n'arrivera jamais à compter. Marie adore sortir, voir du monde, s'ouvrir aux gens, tout le contraire de moi. Elle adore organiser et sortir en soirée pour être populaire, être aimée des autres, cacher son score médiocre que tout le monde peut connaître; on en revient au problème de départ, dans quelle sens dépenser des fortunes pour se montrer au monde, alors qu'on peut très bien se contenter d'un cercle restreint d'amis que l'on connait vraiment, contrairement aux réseaux sociaux ? On en revient à l'affirmation d'Einstein. Vous voyez, la vie est un cercle vicieux, un cercle sans fin, ou des cycles infinis se répètent, un jeu vidéo où l'on est l'acteur.

2 minutes, vous vous dites sans doute que je suis une fille triste et que je ne vois pas d'autres solution à ma vie que la loi de Murphy. Ce n'est pas totalement faux, je pense que la vie est un cycle où l'on choisit d'en être acteur et de faire des choix, A, B ou C ; mais des cercles qui se répètent et auxquels on ne peut pas échapper. On vit, on meurt, et entre temps on tombe amoureux plusieurs fois, on part en vacances, on a des rêves, des tristesses, des envies. Cependant, je ne crois pas au destin, à la destinée, je vis chaque jour ma vie à fond pour être sûre de ne jamais rien regretter, à ma façon. J'aime les vinyles, les vieilles chansons et je pense qu'on perd beaucoup de nos jours, qu'on apprécie plus les chansons comme avant, qu'on peut zapper une chanson d'une pulsion de pouce sur notre téléphone, aussi rapidement que ça.

Je sors du tram et je me dirige vers l'entrée du musée, j'ai 10 minutes d'avance comme la plupart du temps, car je n'aime pas prendre du retard. Il fait doux à Bordeaux durant ce début de mois de juillet, j'aime beaucoup courir, cela me permet de me vider la tête. Avec ma nouvelle note au début d'année, j'ai désormais accès à des pistes beaucoup plus agréables que celle que je pratiquais quand j'étais Serviteur. J'aurais aimé entraîner dans ma foulée Marie, mais elle préfère manger des glaces, c'est ce qu'elle m'a répondu. On vient de passer notre bac et on est en vacances, j'ai eu 18 ans il y a deux mois et je compte bien profiter de mes vacances pour voyager à travers l'Europe. J'ai déjà comme projet de visiter l'Italie du sud, la Bavière, L'Écosse et les Lofoten. J'aime la solitude, les coins reculés, la liberté et l'environnement sauvage, loin de la civilisation humaine qui ravage tout, en cette année 2O32.

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