La maison blanche

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« Ça m'est arrivé pendant que je marchais dans le couloir. J'ai entendu sa voix. Il m'a parlé directement. Rapidement, je me suis retourné pour voir si quelqu'un me faisait une blague ou si j'étais bel et bien cinglé. La personne derrière moi s'est arrêtée, elle aussi. Son regard était livide, aussi livide que le mien. Nous nous sommes regardés et puis j'ai lancé : « Toi aussi, tu l'as entendu? » L'adolescent me fait un signe de tête. On n'est pas fous, on est deux à l'avoir entendu.

Il parle beaucoup, ces temps-ci. Il doit s'ennuyer, là-haut, tout seul. J'ai longtemps essayé de faire taire sa voix, mais il revient toujours. Sa voix perce ma concentration, attaque mes oreilles et parfois, me donne un de ces maux de tête. Mais il compte sur moi, il sait que je ne le décevrai pas.

Je me dirige vers ma chambre. Elle est au bout du couloir. La grande maison blanche est tranquille aujourd'hui, il n'y a pas de nouveaux arrivants. Moi, je suis arrivé il y a quelques semaines. Ce n'est pas mon premier séjour ici. Je ne comprends pas pourquoi mes parents me laissent toujours ici. Je peux rester seul à la maison. J'en suis capable. Je suis assez grand.

Je n'ai pas d'amis, ici. La maison blanche, ce n'est pas un endroit que j'aime. Il y a des gens qui me forcent à faire des choses que je ne veux pas faire. Comme parler. Je déteste parler. Mais je suis obligé d'y rester le temps que mes parents se décident à me reprendre avec eux. J'ai si hâte de les revoir.

Lorsque je passe devant certaines chambres, j'ai peur. Je vois des gens au teint pâle avec les mains ligotées. Elles me demandent de l'aide, mais je sais que je ne peux pas les aider. Sinon, les maîtres de la grande maison blanche me feront la même chose. Ça, je l'ai appris à mes dépends. Je me contente donc de baisser les yeux et continue mon chemin vers la chambre qui m'a été prêtée.

Mes amis, ils n'ont pas le droit de venir ici. Ou ils ne veulent pas, je ne sais pas. On ne me dit jamais rien, à moi. Ça fait longtemps que je ne les ai pas vu. Même lorsque je suis chez mes parents, ils disent qu'ils sont occupés. Petite copine, bébé, maison... toutes les excuses sont bonnes pour ne pas venir jouer aux autos avec moi.

Une fois dans ma chambre, je m'installe dans la salle de bain et prend mon petit ordinateur que j'avais dissimulé dans mes vêtements. Ici, on n'a pas le droit d'avoir de l'électronique. Les gardiens disent que ça nous empoisonne, que ça nous rend fous. Moi, je ne suis pas de cet avis. Mais moi, on ne m'écoute jamais.

Je tape le nom du site internet qui m'a été cité : Irai-jeEnEnferEtPourquoi.com. La page est assez colorée. Je zyeute un peu les différents onglets et trouve finalement la barre de recherche. J'y entre mon nom tel qu'il m'a demandé : Éloi Duchesne. Une biographie de ma vie apparaît. Je la lis attentivement.

Éloi Duchesne

35 ans (5 mai 2021)

Habitant du Royaume-Uni

Père : Ali Duchesne

Mère : Eliza Davis

Frères/sœurs : Aucun

J'arrête de lire. Il sait tout sur moi. Il sait ce que j'ai fait pour mon sixième anniversaire, il sait ce que j'ai envie de faire maintenant, mais surtout, il sait lorsque tout ça sera fini. Il sait la date exacte de ma disparition. Il m'a promis une place auprès de lui lorsque tout sera fini. C'est un jour que j'attends avec impatience.

Il m'a donné une mission.

Ma mission.

Je dois répandre la rumeur. Je dois dire à tout le monde qu'il a créé un nouveau site internet pour nous informer de notre destination. Je dois le dire à tout le monde. Je cours à l'extérieur de ma chambre et crie « Nous sommes sauvés, il nous laisse savoir, il nous veut près de lui! »

Il sait que je ne veux que faire le bien autour de moi. Célestin, mon voisin, m'interpelle dans sa chambre. Il sait que ce que je dis est vrai. Il me croit, lui. Je lui montre son profil et, heureusement, il a sa place réservée à ses côtés. Septique, mon ami rit de bon cœur et roule les yeux, me disant que c'est sûrement encore un coup de publicité. Non. Tu ne comprends pas, Célestin. Et je vais te le prouver.

J'empoigne un crayon qui traînait dans sa chambre. Tu vas voir, Célestin, moi, je ne dis que la vérité. Tu vas voir, tu vas avoir ta place auprès de lui. Je te le jure, Céles...

Je tiens son corps, immobile. La peste, il a décidé de me laisser sans réponse!

Je lâche rudement les épaules de mon ami. Il se réveillera bientôt pour me dire que j'ai raison. Il s'en rendra compte. Il va se réveiller.

Mes mains sont rouges. C'est sûrement un symptôme secondaire. J'ai souvent entendu ce mot. Une toux? Symptômes secondaires. Une fièvre? C'est la faute des symptômes secondaires. Une migraine? Les symptômes second-

Oui, on a compris, tais-toi.

Les mains rouges et poisseuses, ce ne sont que des symptômes secondaires.

Des symptômes secondaires, que je me dis.

Des symptômes secondaires.

Le corps inerte de mon ami est bien à la vue. De cette façon, les gardes pourront le voir se réveiller. Célestin, il le dira. Lui, on le croit. C'est son premier séjour parmi nous, et il a déjà plus de reconnaissance que moi.

Lui, on le croit.

Lui, il le dira. Il répandra la nouvelle.

Lui, il témoignera. »

Les hommes en habits propres m'observent, tous attentifs. C'est alors que l'autre monsieur, vêtu de sa longue chemise blanche et de son accent plutôt bizarre déclare :

–– Votre honneur, il n'y a pas de toute, c'est un cas de schizophrénie sévère.

Écrire librement : les histoires dans ma têteWhere stories live. Discover now