20. La nouvelle reine

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Brunehaut garda les yeux fixés sur le garde qui venait de surgir dans la pièce au beau milieu de la nuit, ne pouvant croire ce qu'il venait de dire. Elle devait avoir mal compris. 

— Quoi ? bredouilla-t-elle d'un ton fort peu princier. Comment ?

Elle abaissa sa couverture et se redressa sur son lit.

L'elfe baissa la tête avec tristesse.

— Ses servantes ont entendu des cris. Lorsqu'elles sont arrivées dans la pièce, il était trop tard.

— Quelqu'un a assassiné ma mère ? répéta la princesse qui n'était pas certaine de ne pas être encore en train de rêver. Comme ce qui est arrivé à la reine des elfes noirs ? Comment cela pourrait-il être possible ?

Brunehaut avait appris il y a deux jours la mort de Hiltrude, la mère de Tassilon. Cette nouvelle l'avait plus peinée qu'elle ne l'aurait cru. Malgré la rancœur qu'elle leur tenait, elle considérait toujours les elfes noirs comme sa famille. Hiltrude l'avait élevée. Elle pouvait bien plus être tenue par Brunehaut comme une mère que sa véritable génitrice.

Et voilà que la reine Flavie était à son tour assassinée !

— Tout s'est passé très vite pendant la nuit, expliqua le garde. L'assassin s'est faufilé en faveur de l'obscurité. Personne ne sait comment il est arrivé jusqu'à la chambre de la reine.

Brunehaut se leva.

— Amenez-moi à l'endroit où se trouve ma mère, ordonna-t-elle au garde.

Elle avait besoin de voir les faits de ses propres yeux.

Sa servante se précipita pour essayer de lui faire enfiler une longue tunique pourpre. Brunehaut la repoussa avec agacement. Elle pouvait bien se promener dans les couloirs pieds nus et en simple chemise de nuit. Les elfes blancs étaient si protocolaires...

Le garde la conduisit à travers des couloirs de la demeure royale que la jeune fille n'avait jamais empruntés. Brunehaut se rendit compte qu'elle n'était jamais entrée dans la chambre de sa mère et ne savait même pas où elle était située. Elle n'avait jamais pris la peine d'essayer de connaître la vie privée ou les goûts de Flavie. Elle n'avait jamais cherché à se rapprocher d'elle d'une façon ou d'une autre. Elle n'avait fait que fuir au maximum sa présence. Le regrettait-elle à présent ? Il était trop tard pour cela.

La salle était remplie de monde. Des servantes étaient en larmes, agenouillées autour d'un lit. Brunehaut fronça les sourcils devant tant de faiblesse. Elle ne pleurait jamais. C'était là un comportement de lâches qui ne l'étonnait pas de la part des elfes blancs.

— Allez-vous en, ordonna sèchement Brunehaut. Faites place.

La foule était si dense qu'elle ne parvenait pas à apercevoir le corps allongé sur le lit.

Les elfes en pleurs s'écartèrent lentement, dévoilant une forme inerte.

La princesse s'approcha de sa mère sans un mot. Elle contempla les traits fins de la reine, saisie d'une étonnante émotion. Elle n'avait pas aimé cette femme qui restait pour elle une étrangère. Mais Flavie était sa mère. Une mère avec qui elle aurait pu nouer des liens profonds. Une mère qui venait de lui être brusquement arrachée.

Et personne n'avait le droit de lui infliger cela.

— Qui l'a assassiné ? demanda-t-elle avec colère. Avez vous arrêté le coupable ? S'agit-il d'un humain ? De l'un de ces purificateurs?

Elle avait craché le dernier mot avec mépris.

Le garde qui l'avait guidée hocha la tête.

— Nous avons trouvé un cadavre d'humain à côté de la dépouille de la reine. L'homme a visiblement poignardé la reine avant de retourner l'arme contre lui.

La princesse fronça les sourcils.

— Il s'est tué lui-même ? Mais pourquoi ?

Elle n'avait jamais compris comment les humains pouvaient choisir de s'ôter eux-mêmes leur propre vie. Aucun elfe n'agirait ainsi.

— Des gardes arrivaient. Il n'aurait pas pu fuir. Sans doute a-t-il préféré s'éviter des souffrances.

Brunehaut enrageait. Elle aurait adoré capturer l'un de ces purificateurs vivants. Elle aurait pris énormément de plaisir à l'interroger.

Et à l'éviscérer.

— Les elfes noirs ont-ils pu capturer celui qui s'en est pris à la reine Hiltrude ?

Le garde secoua la tête.

— Non. D'après les informations qui nous sont parvenues, l'autre assassin s'est fait tué par le mage Athanasios.

Brunehaut eut une exclamation de dédain.

— Quel imbécile cet Athanasios !

Ce fait la surprenait cependant. Elle avait beau ne pas apprécier l'humain de compagnie de son ancien cousin, elle devait bien reconnaître que ce dernier n'était pas non plus toujours complètement idiot. Or il aurait été bien plus malin de capturer l'assassin vivant pour le faire parler.

La princesse observa encore un instant sa mère. Ses servantes l'avaient recouverte d'un linge qui cachait sa blessure. Allongée comme elle l'était, elle semblait dormir. Pris d'une tendresse qui l'étonna elle-même, Brunehaut caressa du bout des doigts les longs cheveux blonds de la reine, si semblables aux siens. Elle était prise malgré elle d'une certaine tristesse. Non tant d'avoir perdu cette femme pour laquelle elle n'avait pas d'affection, mais plutôt en songeant à tout ce qu'elle avait manqué. Son père biologique était mort un mois avant sa naissance. Si les elfes noirs ne l'avaient pas enlevée alors qu'elle n'était qu'un bébé, Brunehaut aurait grandi avec amour auprès de Flavie. Elle n'aurait eu aucune difficulté à l'appeler mère et serait probablement en ce moment en train de sangloter avec hystérie comme les femmes derrière elle.

Mais cela n'avait pas été le cas. Et ce n'était certainement pas aujourd'hui que Brunehaut allait commencer à verser la moindre larme.

Puis la princesse se rendit soudain compte de quelque chose qui la stupéfia plus que tout le reste : la mort de sa mère faisait d'elle la nouvelle reine des elfes blancs.

Et elle avait bien l'intention de profiter de ce nouveau pouvoir qui lui était offert. Les humains allaient enfin payer le mal qu'ils avaient fait. 

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Where stories live. Discover now