32. Le piège

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— C'est terrible. Oui vraiment, tout ceci est terrible, se lamentait Enguerrand de Beaumont depuis qu'Absalom avait pénétré dans le château.

Son fils Sigebert marchait à côté de lui, approuvant les paroles de son père à rythme régulier d'un grand hochement de tête.

Ils parcouraient un long couloir aux pierres nues sans fenêtre. Les torches accrochées au mur ne parvenaient pas à réchauffer l'air glacial.

— Ces mouvements d'elfes dont tous le monde parle..., frissonna Enguerrand... Que peut-on faire, Absalom ? Croyez-vous que nous devrions mener la guerre sur leurs territoires ? Avant qu'ils ne répandent la destruction sur le nôtre ?

Le mage secoua la tête.

— Non, nous devons nous contenter de nous défendre pour le moment. Les elfes ne sont pas encore entrés en guerre contre nous. Rien ne justifierait de les attaquer.

Enguerrand ouvrit la bouche, laissant s'échapper de la buée.

— Tout de même, les elfes sont bien agressifs. Les blancs, à la limite peuvent être supportables. Mais les noirs... J'ai toujours été d'avis qu'il aurait fallu depuis longtemps tous les exterminer. Impossible de traiter avec cette vermine.

Absalom fronça imperceptiblement les sourcils, désapprobateur.

— Je ne peux partager votre point de vue.

Le chevalier eut un mouvement ample de la main.

— Je connais votre philosophie. Vous souhaitez éviter de tuer. Mais regardez où cela vous a mené ! Vous avez laissé la vie sauve à ce démon d'Athanasios. Il prépare à présent on ne sait quelles machinations et la fiancée de mon fils est toujours retenue captive !

Absalom lui jeta un regard aussi froid que l'air ambiant. Enguerrand referma aussitôt la bouche et se dandinant, embarrassé.

— Je ne voulais pas vous manquer de respect, finit-il par marmonner pour s'excuser. Je connais votre valeur et vous estime grandement.

— Vous n'avez pas complètement tort, reconnut le mage blanc. J'aurais dû nous débarrasser d'Athanasios quand l'occasion s'était présentée. Une erreur que je ne commettrai plus, soyez-en assuré. 

Enguerrand n'osait plus parler et resta silencieux un moment. Les trois hommes descendaient à présent les marches menant à la crypte funéraire des Beaumont. Le froid s'accentuait davantage à chacun de leurs pas. Lorsqu'ils arrivèrent en bas, les statues allongées sur les sarcophages des ancêtres de la famille étaient recouvertes d'une mince couche de givre.

— L'hiver sera rude, commenta Enguerrand en observant les gisants scintiller à la lueur des torches.

Absalom savait qu'il avait raison. On voyait rarement de la neige si tôt dans l'année.

Il regarda la porte en bois.

Enguerrand hésita un instant puis ne résista pas à la tentation de poser une question.

— Qu'allez-vous donc faire de si important sur Terre ?

— Détruire le mal à sa racine.

Enguerrand et Sigebert lui jetèrent un regard rempli de curiosité. Mais Absalom conserva le silence. On ne pouvait se fier à personne en ces temps troublés.

— Je serai absent pendant un moment. Peut-être plusieurs semaines. Ne parlez de mon absence à quiconque. Personne ne doit savoir que j'ai traversé la porte pour me rendre sur Terre.

Le père et le fils hochèrent gravement la tête.

— Vous pouvez compter sur nous, assura Sigebert.

Absalom ne répondit rien et s'approcha de la porte intermondiale à pas lents. La perspective de séjourner dans l'autre monde ne l'enchantait guère. Il n'aimait pas la Terre. Les conditions de vie y étaient sans doute meilleures que sur Mundus, mais le mage était persuadé qu'il ne pourrait jamais s'y sentir chez lui. Tout y allait s'y vite ! Les Terriens semblaient en permanence pris d'une véritable frénésie qui les poussait à se presser toujours d'avantage. Absalom aimait prendre son temps.

Il posa sa main sur la poignée, actionna le gond, poussa la lourde porte et franchit le perron. Le mage fut saisi d'un froid horrible, insoutenable, bien plus intense que celui qui avait régné dans la crypte. Puis il atteignit l'autre côté.

Henri de Folleville, le gardien du côté de la Terre, l'attendait et s'inclina devant lui.

— Soyez le bienvenu, Absalom. C'est un honneur pour moi de vous accueillir.

— Bonjour à vous, Henri.

Absalom retira sa lourde cape, désormais inutile. Il faisait agréablement chaud dans le salon d’apparat. Le mage jeta un coup d’œil par la fenêtre. Il faisait un temps couvert à Versailles, la ville terrienne à laquelle menait la porte, mais aucune neige n'était visible.

— Souhaitez-vous une tasse de thé ? lui proposa le gardien.

Absalom accepta. Il s'assit sur une banquette et regarda intensément Henri de Folleville.

— Je connais votre implication, déclara le mage d'un ton calme. Je ne peux rien prouver, mais je suis persuadé de détenir la vérité. Vous travaillez pour Athanasios.

Le gardien était devenu pâle comme un linge et avait renversé sur la table le thé qu'il s'apprêtait à servir dans une tasse.

— Moi ? bredouilla-t-il sans conviction. Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

— Je pense que vous n'agissez pas de votre plein gré, reconnut le mage. Athanasios doit user sur vous de quelque moyen de pression. Agir ainsi est l'une de ses spécialités. Il est capable des pires manipulations.

Henri de Folleville se tordait les mains, hésitant. Ses lèvres bougeaient sans qu'aucun son n'en sorte.

— Vous allez à présent passer à mon service, déclara Absalom d'un ton sans réplique. Parce que je ne vais pas vous laisser moi non plus le choix.

Le visage du gardien devenait de plus en plus livide.

— Je ne peux pas, bredouilla-t-il. Je ne voulais pas l'aider... Mais ma famille... Il les détient... Il leur fera du mal si...

Le mage l'interrompit d'un geste de la main.

— Vous n'avez aucune garantie qu'obéir servilement à Athanasios vous permette de retrouver un jour votre famille. Vous ne savez même pas si vos proches sont encore en vie. Je suis brutal, mais c'est la vérité.

Henri de Folleville s'était laissé tomber sur un fauteuil, tremblant de tous ses membres.

— Si Athanasios est vaincu, vous aurez peut-être une chance de les revoir. Et vous épargnerez dans tous les cas à d'autres familles de subir le même sort que la vôtre. Athanasios doit être arrêté. Vous pouvez jouer un rôle discret mais clef dans cette fin heureuse. Si vous refusez de m'assister, je vous dénoncerai auprès du roi de Galva et vous serez arrêté et destitué.

Absalom se tut, laissant le gardien réfléchir.

— Je... je vais vous aider, murmura finalement. Je veux mettre fin à tout cela. Athanasios est passé il y a quelques jours. Avec la jeune Charlotte d'Aspignan. Il l'a visiblement laissée sur Terre avant de regagner Mundus.

Absalom eut un signe de tête approbateur.

— Vous avez pris la bonne décision.

Il fouilla dans la poche de sa cape et en ressortit une pierre grise sans prétention.

— Prenez ceci.

Il fit tomber la pierre dans les mains décharnées d'Henri de Folleville.

— Je possède un artefact semblable. Je vais m'installer sur Terre un moment. Je crois savoir qu'Athanasios se trouve en ce moment à Mundus. La prochaine fois qu'il franchira la porte et entrera ici, prévenez-moi en serrant simplement cette pierre entre vos doigts. Si Athanasios arrive ici avant moi, trouvez un moyen de le retenir.

Le gardien referma les doigts sur la pierre et hocha simplement la tête.

L'accord était scellé. Le piège allait se refermer sur Athanasios.

Daemoniaci. La geste d'Arthur Montnoir, livre 2Where stories live. Discover now