Chapitre 3 : Kayna

7.5K 395 55
                                    

De retour à la maison, je me hâte d'ouvrir la porte du garage à Roy, qui y est enfermé depuis ce matin quand mon oncle est parti travailler. D'ailleurs, il n'est pas encore rentré et ça me va parfaitement. 
Dès qu'il me voit, le chien me saute dessus et manque de me renverser par terre. J'éclate de rire, sa langue léchant mon visage. Après quelques minutes de câlins, je le repousse afin de me débarrasser de mes chaussures et de ma veste. Je vais ensuite me débarbouiller à l'étage, non sans lui avoir ouvert la porte qui donne sur le jardin. Il pourra, ainsi, se dégourdir les pattes.
Enfin propre, je m'assieds sur mon lit, sors mon portable de ma poche et comme tous les jours depuis que j'ai quitté mon ancienne vie, je regarde ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Non pas que ça m'intéresse réellement, mais ça m'occupe. Les photos de ceux que je pensais être mes amis défilent sous mes yeux. Aucune de ces personnes n'a pris la peine de venir aux funérailles de ma mère, qu'ils connaissaient pourtant. Ils se sont contentés d'un vague message de condoléances.
Des amis... Tu parles ! Quand j'ai eu le plus besoin de leur soutien, je n'ai reçu que du silence. La mort n'est pas contagieuse, les gars ! Malgré moi, des larmes me montent aux yeux et je dois serrer les mâchoires pour les ravaler. Tout ceci aura au moins servi à me faire voir le vrai visage des gens qui m'entouraient. D'un geste sec, je verrouille mon portable et le balance sur mon lit avant de m'y laisser tomber, sur le dos.
Cette première journée au lycée ne s'est pas exactement déroulée comme je l'aurais espéré. Mon plan consistait à passer inaperçue, voire à être invisible. Or, je pense pouvoir dire, sans trop de marge d'erreur, qu'avoir frôlé la mort en plein milieu du parking, sous les yeux des étudiants présents, ne représentait pas une bonne entrée en matière pour le but que je visais. Tout comme insulter le petit ami de Vicky, surtout que d'après ce que j'ai compris, il est joueur de foot. Assez populaire, qui plus est. Ce qui ne change rien au fait établi : c'est un abruti. Irrespectueux et arrogant de surcroît. À vrai dire, je ne sais pas ce qui m'a le plus choquée entre son attitude de mâle alpha ou celle de sa copine, qui semblait boire chacune de ses paroles même quand elles se révélaient dégueulasses. L'amour a des limites, non ?
Je grimace en direction du plafond. Peut-être que ces limites ne s'appliquent qu'aux hommes, après tout. Peut-être sont-ils moins tolérants, plus enclins à l'abandon ? Prenons mon géniteur en exemple, à mes trois ans, envolé, disparu dans la nature. À croire que la Terre l'a englouti tout entier. Il n'a plus jamais donné de nouvelles à ma mère, n'a pas appelé une unique fois pour me parler, ni envoyé de lettre ou laissé d'explication à son départ.
Elle m'a donc élevée seule et même si, à certains moments, elle a galéré, je n'ai jamais manqué de l'essentiel. J'avais un toit au-dessus de la tête, de la nourriture sur la table, de l'amour et des valeurs. Et aussi un conseil, qui pour un motif inconnu, m'a toujours plus marquée que les autres : suis ton cœur, mais n'oublie pas d'écouter ta raison. Le premier peut te trahir, la deuxième est là pour te le rappeler.
J'exhale un soupir tremblant en me remémorant la façon dont elle me tapotait la poitrine et les tempes en me prononçant cette phrase, comme si elle voulait qu'elle s'imprime en moi. Je ne peux m'empêcher de me dire, même si ça me fait souffrir, que si elle avait été vivante, j'aurais pu lui raconter cette rentrée pas terrible. Pour me réconforter, elle m'aurait préparé des crêpes, des cookies ou des gaufres dégoulinantes de chocolat ou de glace. On se serait bidonné devant les épisodes de Friends alors que l'on connaît cette série culte sur le bout des doigts.
La réalité de sa perte me rattrape de plein fouet et me coupe le souffle, comme si une vague avait déferlé droit sur moi. Mon cœur se met à tambouriner dans ma poitrine, prêt à en jaillir. Malgré l'habitude de ces crises, je panique. Je me redresse sur mon matelas pour tenter de maîtriser ma respiration, devenue trop rapide, mais ma tête me tourne et mon sang bourdonne dans mes oreilles.
Voilà l'une des raisons pour lesquelles je ne veux pas penser à ma mère. À chaque fois, j'ai l'impression que je vais mourir.
Essayant de contrôler la situation tant bien que mal, je tends une main tremblante vers la télécommande posée sur ma table de chevet et allume la télé.
Pense à autre chose, pense à autre chose... tourne en boucle dans ma tête tandis que je fournis un effort pour me concentrer sur l'émission qui passe à l'écran. La voix du présentateur m'apaise et me permet de sortir du tourbillon angoissant dans lequel j'allais être aspirée. Lentement, ma respiration se calme, ainsi que les battements de mon cœur. Soulagée, je ferme les yeux et me laisse tomber en arrière. Je tremble encore un peu, mais le plus grave se trouve derrière moi. Je ne sais pas si ces crises sont dangereuses, mais en tout cas, elles m'effrayent. Des larmes d'impuissance glissent sur mes joues. Les paroles qui me parviennent du petit écran me bercent et quelques secondes plus tard je sombre dans les bras de Morphée.
— Kayna ?
Une voix douce me sort de ma sieste. En ouvrant les paupières, je découvre Allan penché sur moi. Je me redresse sur le lit, un peu perdue.
— Le dîner est prêt. Viens, sinon ça va refroidir, me sourit-il, bienveillant.
— Ouais. J'arrive.
Interdit, mon oncle me regarde, les yeux ronds. Pendant ce temps, je me lève et me rattache les cheveux convenablement, ignorant son étonnement.
— Ben, c'était pas trop tôt ! s'exclame-t-il avec un rire.
— Ne te fais pas d'illusions. Je ne veux toujours pas vivre ici et encore moins avec toi.
Allan s'apprête à me répondre, mais il finit par jeter l'éponge et pousse un soupir avant de descendre.
Une fois à table, je mange le gratin de pâtes avec appétit. En rentrant, je n'ai rien goûté, j'ai donc une faim de loup. D'habitude, je prépare le dîner avant que mon oncle ne rentre du travail, mais la rentrée m'a lessivée. Certes, je ne lui parlais pas depuis trois mois, mais je participais aux tâches ménagères. J'aime cuisiner, on peut dire que c'est une de mes passions, en plus des animaux.
— J'espère que ça te plaît. Je ne suis pas sûr que ce soit aussi bon que lorsque c'est toi, mais j'ai fait de mon mieux. Où as-tu appris à cuisiner aussi bien, d'ailleurs ?
Je vois clair dans son jeu. Il me pose une question banale pour me faire parler, il essaie de créer un lien entre nous. Mais ce n'est pas parce que je daigne lui adresser la parole qu'on va devenir une belle petite famille recomposée. Je ne prends donc même pas la peine de réagir.
Est-ce que ça le décourage ? Ce serait trop beau...
— Comment s'est passé ton premier jour ?
— Bien, répliqué-je, la bouche pleine.
Il hoche la tête et continue à manger, un sourire stupide accroché à ses lèvres.
Après avoir débarrassé et lavé la vaisselle, je file me doucher et fais signer les papiers scolaires à Allan. Il y met tellement d'entrain que je me demande s'il n'est pas un peu simplet.
— Bonne nuit, Kayna, me dit-il en me rendant mon stylo et les feuilles.
— Ouais, marmonné-je avant de me réfugier au premier.
La télé allumée, comme toujours, je m'endors sur un souhait : ne pas croiser une cheerleader stupide ou un sportif imbu de lui-même, le lendemain.

Unsaid Words (Tome 1) [ Publié aux Éditions Glamencia ]Where stories live. Discover now