Douloureux souvenirs

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       Quelques jours s'écoulent dans ma nouvelle vie à la campagne, j'ai envoyé plusieurs messages au groupe mais seule Emilie me répondait avec intérêt. Leila et Nath me répondaient vaguement, et bizarrement, avaient toujours quelque chose de prévu pour s'excuser d'ignorer mes messages. J'essaye de me faire à l'idée que ça ne sera peut-être plus jamais comme avant, mais à cette pensée, mon cœur se serre et les larmes brouillent ma vue. Heureusement que je traîne avec Sam et Claire car sinon, mon cerveau resterait bloqué sur cette unique pensée: mes meilleures amies m'ont peut-être remplacé. 
Au collège, lorsque je suis en train de manger à la pause du midi avec Sam et Claire, une fille de troisième vient nous aborder, le visage sombre. Je me demande si c'est à cause des arbres au dessus de nous, mais ça n'en a pas l'air.
- Tu es bien Anna Weston ? me demande-t-elle en me dévisageant. 
Je la regarde et essaye de me rappeler si je la connais. Non, aucun souvenir.
- Oui, c'est moi.
A cette réponse, elle éclate de rire, avant de s'arrêter brusquement pour me regarder d'un air dédaigneux. Un sourire narquois apparaît sur son visage.
- Alors comme ça, tu t'es retrouvée ici sans tes jolies petites meilleures amies ? Tu n'es plus accompagnée de Barbie, madame-j'ai-la-bouche-en-cul-de-poule et la meuf soit-disant parfaite ? Tu te devais vraiment te sentir seule pour tomber si bas, dit-elle en regardant Sam et Claire.
Sam se lève d'un bond, les poings serrés. 
- Dégage, souffle-t-elle entre ses dents serrées.
Elle semble prête à se battre, mais Claire lui touche le bras et ce geste a l'air de la détendre car elle se rassoie, toujours avec le regard mauvais.
- Qu'est-ce que tu me veux ? je lance à la fille, en essayant de contrôler mes tremblements.
- Tu ne sais pas qui je suis ? Normal, une fille comme toi ne voit pas plus loin que son nombril, non ? Mais moi, je sais qui tu es. Tu te croyais si intéressante avec elles, si bien que tu regardais tout le monde de haut. Comme-ci humilier les autres ne te suffisait pas, il fallait que tu les détruise. Pourquoi tu faisais ça ? 
       Mes ongles plantés dans ma cuisse, j'essaye de me focaliser sur la douleur, mais les regards de Sam, Claire et cette fille me donnent la nausée, j'ai l'impression que ma tête va exploser. Comme je ne réponds pas, la fille continue de m'achever:
- Moi, je vais te le dire. Tu faisais ça car tout le monde n'était pas comme toi, c'est-à-dire populaire. Tu n'étais qu'en primaire et tu te prenais pour la reine du monde, toujours accompagnée de ta bande, là, dit-elle en crachant les mots comme des morceaux de verre. 
       Je garde les yeux rivés au sol, comme la petite merde que je suis. Je n'ose pas affronter leur regard, trop honteuse, trop dégoûtée de moi même.
- Tu ne te rappelles pas de ma sœur, n'es-ce pas ? Laura  ? Laura Stefan ? La petite grosse, comme tu l'appelais.
A ce nom, mon visage me pique, comme-ci des milliers de petites épines s'enfonçaient dans mes joues, mon front, mon menton. Si, je m'en rappelle.
- Vous ne pouviez pas vous empêcher de l'humilier, pas vrai ? Vous aviez toujours des insultes et des moqueries préparées dans votre sale bouche quand elle passait devant vous. "Sale grosse", "bouboule", "vieille baleine", c'était votre manière de lui dire bonjour ? Et quand au sport, vous la poussiez parce qu'elle, je cite, "prenait toute la place avec ses bourrelets", c'était pour lui dire que vous vouliez être son amie ? Quand elle mettait une robe, vous montriez ces jambes en imitant des pas d'éléphants. Ça vous faisiez rire qu'une petite fille ait des kilos en trop ?
        Les souvenirs remontent en moi comme des bulles, prêtes à éclater tout moment. Je ne peux que me rappeler le visage de Laura en train de manger en cachette dans les toilettes, le visage baigné de larmes. 
- Vous lui couriez après, en lui disant : " attention, le sol va craquer, ne marche pas trop vite". Mais la faire fondre en larmes ne vous suffisait pas, il fallait que vous remplissiez son sac de barres chocolatées, alors que les gourmandises étaient interdites dans l'école. Il fallait que vous balanciez toutes ses affaires dans le bac à sable. A cause de ça, Laura a été exclue pour une journée, alors que c'est elle qui se faisait harceler. A cause de vous, on a dû déménager loin des moqueries. Tu me dégoûtes. Mais maintenant que tes acolytes ne sont plus là, tu n'es plus personne. 
      Je n'avais pas remarquer les larmes qui coulaient sur mes joues au fil de son horrible récit. Lentement, je remonte la tête et voie que la fille a ramené sa sœur. Je ne l'avais jamais vu au collège alors qu'elle était là, foulant les mêmes couloirs que moi. 
Laura a changé. Elle a perdu du poids et s'est laissée pousser les cheveux. Quand nos regards se croisent, j'y devine la peur qu'elle ressent. Peur. Elle a peur de moi. Encore, depuis toutes ces années.
- Excuse toi tout de suite, me susurre la fille.
- Non, c'est bon, arrête Liz... murmure sa sœur. 
Je n'entends plus leurs voix et ne fait plus attention à leurs regards. Ceux de Sam et Claire, intrigués et tristes, celui de Liz, cruel et assoiffé de vengeance, et celui de Laura, apeuré et timide. Je me lève juste en  prenant mon sac, et part en courant en bousculant Liz au passage. Je suis incapable de prononcer le moindre mot. Je sors du collège en prétextant un mal de ventre, qui n'est pas totalement faux, et m'éloigne en pédalant, en essayant de faire taire la voix de Liz qui dévoile toutes les atrocités que j'ai faites. Mon visage est baigné de larmes, comme autrefois celui de Laura. Ma respiration est saccadée, et alors que ma lèvre tremble sans s'arrêter, je le hurle face au vent: " JE SUIS DÉSOLÉE ". 


A fleur de peauTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang