Chapitre 4

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Lila et le père Giovanni ont toujours beaucoup de plaisir à partager une tasse de café. Souvent après le dîner Lila s'échappe de la maison pour rejoindre le vieux prêtre. A chaque fois les rencontres se font au presbytère autour de la table branlante qui trône au milieu de la pièce et sert à Giovanni de table de repas mais aussi de bureau. Les genoux de Giovanni sont très douloureux, il ne prend plus les escaliers que pour monter ou descendre de sa chambre. La pièce du rez-de-chaussée est devenue son lieu de vie. Malgré tout, lorsque les soirées sont douces, il aime se faire conduire par Lila sur une des murettes qui longent la place de l'église et là tout en sirotant leur café, ils observent les quelques marmots qui jouent et discutent à bâtons rompus. 

Giovanni aiment profondément tous les hommes et les femmes de ce bout de vallée. Il sait combien chaque heure de leur journée leur demande un courage exemplaire. Lila ne déroge pas à la règle. Mais curieusement on ne sent jamais chez elle une once de fatigue ou de lassitude. Elle arbore du soir au matin son magnifique sourire et déborde d'une énergie solaire. Rencontrer Lila lui fait du bien. Quand il est avec elle, ses vieux os ne le font plus souffrir. Lila a toujours été une enfant gaie, curieuse, posant mille questions. Maintenant qu'elle est devenue une très belle jeune femme, Giovanni ne peut s'empêcher de s'inquiéter pour elle. Lors de leurs nombreux échanges, il sent chez elle une soif d'amour absolu. Giovanni ne manque pas d'évoquer les Saintes Ecritures et la paix que peut lui apporter l'amour de Dieu. Mais il n'est pas dupe, il sent en Lila une fièvre, une exaltation, il sait qu'il doit guider au mieux cette âme pure.

Ce soir-là était particulièrement propice à un tête à tête en extérieur, il faisait extrêmement bon. Le père Giovanni et Lila étaient assis côte à côte sur leur bout de mur préféré, totalement muets, regardant sans voir les enfants en train de se disputer une pauvre balle qu'ils avaient confectionnée avec une bille de bois et de vieux bouts de cuir rapiécés. Le soleil déclinant l'humidité de l'air reprenait ses droits. Elle sentait bon l'herbe des prairies environnantes et les fragrances résineuses de la forêt aux alentours du village. Ce temps suspendu faisait à l'un et à l'autre énormément de bien. Il les sortait pour quelques précieuses minutes du tourbillon de leur vie laborieuse. Soudain Lila interpella brusquement le prêtre, il sursauta.

-Mon père.

-Oui Lila, je t'écoute.

-Quand sait-on que l'on est vraiment amoureux?

-Tu es amoureuse?

-Non bien sûr que non!

-Alors pourquoi tu me poses cette question?

-Et vous?

-Quoi moi? De quoi parles-tu?

-Et bien l'amour que vous avez pour Dieu, quand cela est-il devenu une évidence pour vous? 

Le père Giovanni en se raclant la gorge déclara,

-Tout doucement.

-Comment tout doucement?

-Tu sais j'étais dans une famille extrêmement pieuse, notre vie était ponctuée par les rites de la foi et ma mère évoquait à longueur de journées la parole du Christ. Jésus était presque devenu un grand frère pour moi. De mon côté j'ai toujours aimé mon prochain. Conseiller, aider les personnes de mon entourage me procurait une joie profonde. C'est le prêtre de mon village qui a proposé à mes parents de m'envoyer au séminaire de l'Oropa. Je te laisse imaginer la joie et la fierté de mes parents. Je n'ai jamais regretté ce choix. J'ai aimé la vie austère et studieuse au séminaire. Ensuite exercer mon ministère a été un bonheur de chaque jour. Je partage intensément tous les moments de vos vies. Je ne me suis jamais demandé quelle existence j'aurai pu avoir si je n'avais pas été prêtre. En fait, je n'ai jamais douté. Dieu et moi c'est pour la vie!

-Alors c'est donc cela, on est sûr d'aimer quand il n'y a aucun doute?

-Ma foi ce n'est pas si mal trouvé Lila!

-Aïe!

 Lila vient de prendre dans le ventre la vieille balle de cuir rapiécé avec laquelle joue les enfants.

Le père Giovanni se lève d'un coup, en colère.

-Vous ne pouvez pas faire attention, chenapans! Il attrape la balle et la frappe d'un grand coup de pied, l'envoyant très loin de l'autre côté de la place. Les enfants sont médusés. La bouche ouverte ils suivent la trajectoire du projectile.

-Et bien mon père! Quel tir! C'est le bon Dieu qui vous donne cette force?

-Lila je t'en prie, ne dis pas de bêtises! Mais le père Giovanni en s'asseyant, cligne de l'oeil en regardant Lila.

-Vraiment mon père c'est vous le chenapan!

-Ecoute Lila, quand tu es avec moi j'oublie toutes mes douleurs.

Lila tourne la tête et décoche au prêtre un de ses lumineux sourires.

-Vous savez mon père, j'apprécie vraiment ces moments de partage avec vous où je peux vous ouvrir mon coeur et vous livrer toutes les pensées qui m'assaillent.

-Tu fais bien mon enfant,  les échanges que j'ai avec toi font totalement partie de mon travail de prêtre. Mais je suppose que je ne suis pas ton seul interlocuteur. Tu dois aussi ne pas manquer de discuter avec ton amie Anna.  Vous êtes très proches toutes les deux et Esterina sa maman a toute la science nécessaire pour vous éclairer l'une et l'autre sur des questions proprement féminines. Tu peux leur faire confiance. Anna est une jeune femme intelligente et une vraie bonne nature. Quant à sa maman son courage et sa clairvoyance sont à la hauteur de sa belle joie de vivre.

-Oui, oui vous avez raison. Je profite souvent des avis d'Anna et de sa maman. Je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à parler de ces choses avec ma famille. Mes parents, mes frères travaillent si dur. Je les trouve souvent inquiets pour notre avenir mais aussi pour ceux de la vallée. Je n'ose pas les perturber avec les errements de mes pensées.

-Mais enfin Lila, les questions que tu te poses sont vraiment normales et légitimes pour une jeune femme de ton âge. Tu n'as pas à te déconsidérer, elles ne sont nullement dérisoires. Je comprends ta réserve, il n'est pas toujours facile de s'ouvrir aux membres de sa propre famille. De plus à part ta maman tu es entourée uniquement d'hommes. Soit, ta maman est très réservée mais rien ne dit qu'elle n'aimerait pas que tu lui fasses des confidences. Tu devrais essayer. Je suis sûr que tu risques d'avoir une très belle surprise.

-Oui mon père, mais qu'en est il de l'amour?

-Ah l'amour! Vaste question. Ce que je peux déjà te déclarer c'est que l'appel à l'amour est le coeur de la vie chrétienne. Sois très convaincue de ce message. Mais si tu veux bien on va en rester là pour ce soir. Je vais te demander de me raccompagner jusqu'au presbytère, si tu le veux bien. Je commence à frissonner, je suis bien assez préoccupé  avec mes genoux récalcitrants, je ne voudrai pas en plus, m'infliger un gros rhume.

-Oui, oui mon père répond Lila en riant. Vous êtes d'une sagesse à toute épreuve!

-Lila ne soit pas moqueuse, tu verras quand tu auras mon âge!

-Très bien mon père! Alors en route! Je dois rentrer moi aussi, je suis certaine que quelques bricoles à finir m'attendent à la maison avant l'heure du coucher.


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⏰ Last updated: May 11, 2020 ⏰

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l'amante religieuseWhere stories live. Discover now