VIII. Divine idylle

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- Tu n'as qu'à lui demander. Je ne suis pas son père !

C'est Jean qui rouspète dans son téléphone.

- Estelle, téléphone pour toi !

Je sors la tête de la cabine.

- Quoi ?

- Téléphone pour toi !

- Pour moi ?

Il me passe son vieux portable.

- Oui ?

- Estelle ?

- Oui.

- C'est Ta'arroa

- ...

- Estelle ?

- Oui, oui, je suis là !

Ne pas avoir l'air idiote. Ne pas avoir l'air distante non plus, comme hier, à la redescente de la cascade.

- Je voulais savoirr ... euh ... tu sais ... euh ... est-ce que ça tu dirrais de dîner avec moi ce soirr.

- ...

- Trranquillement, hein !

Il m'invite ! Il m'invite, moi, Estelle, 40 ans, ex- cuisiniste !

- Euh ... oui, oui. Attends, je demande à Jean si on n'est pas déjà invités.

On n'est jamais invités ! Je vois Jean qui lève les yeux au ciel d'exaspération, il a déjà tout compris !

- Non, c'est bon, on est.., enfin, je suis disponible, je réponds avec ma voix la plus neutre possible pour ne pas traduire mon excitation.

- Je passe te cherrcher à dix-neuf heurres trrente alorrs.

- Super, à ce soir !

Une invitation de Ta'aroa. Ca gamberge déjà dans ma tête. Ta'aroa, le beau Ta'aroa, mon Ta'aroa.

Bon, faudrait quand même pas trop se faire de film ! Il a quoi, dix ans, quinze ans de moins que moi ! Il a dû avoir pitié, si ça se trouve, c'est sa mère qui lui a demandé. Elle doit savoir ce que c'est de partager le repas de Jean, voilà tout !


Il ouvre la porte de sa maison. Un chalet tropical ouvert aux quatre vents. Dans la pénombre, j'aperçois une grande table décorée avec des feuilles de bananier ou de palmier, éclairée par des bougies. Et seulement deux assiettes.

- On n'est que tous les deux ? Je demande bêtement.

- Ben oui ! me répond-il un peu étonné. Tu attendais du monde ?

- Non, c'est juste que j'ai cru, ..., enfin, ta mère .. et je ne sais pas ... je bredouille, sans savoir comment m'en sortir.

Ah tiens, le balcon, avec la baie au loin, éclairée par les reflets de la lune. Je m'approche pour faire diversion.

En contrebas, les formes des arbres se balancent dans un frémissement serein, rythmées par les congas des grillons. La chaleur de la journée a laissé la place à cette petite brise délicate venant du large.

J'inspire la beauté de l'instant.

Ô temps, suspends ton vol.

Je le sens près de moi. Je rouvre les yeux.

A la vie, à l'amour, aux cactusWhere stories live. Discover now