Présentation de Sylvain - Le Cirque

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« Le projecteur l'illuminait d'une clarté blanche, presque bleutée. Il ne voyait rien, mais fixait droit devant, où il savait être le public. Il les entendait encore légèrement. Devenus attentifs et sans voix, ils émettaient quelques bruits inconscients. Les bruissements des vêtements, des sacs, de la nourriture qu'ils avaient achetée aux vendeurs qui se baladaient dans les allées avant le spectacle ; des sons faibles, indistincts, mais que Sylvain connaissait par cœur. La lumière s'éteignit, le laissant dans le noir, et la musique débuta. Il se décala de quelques pas, le projecteur s'éclaira à nouveau sur lui, puis encore, le même schéma, jusqu'à ce qu'enfin, il élève la voix.
Il n'en pouvait plus de ce discours. La saison allait bientôt s'achever, et tout changerait. Le scénario, les dialogues, les numéros... il pourrait enfin solliciter sa mémoire sur autre chose que les mots scandés de la même manière à chaque représentation depuis presque un an. Il aimait le cirque, sa beauté, ses rêveries, mais détestait sa répétitivité. Le public, lui, était différent chaque soir. Là résidait le vrai bonheur de ces deux heures de spectacle. L'appréhender, l'accueillir et être accueilli, savoir le faire réagir, jouer avec lui. Le tout sous le couvert de l'anonymat. Le maquillage et les costumes empêchaient de savoir qui il était, c'était ici que se dissimulait la vraie délivrance.
Il devait bien reconnaître que les numéros, les répétitions, additionné à l'université qui regroupait les cours et la préparation en amont, tout cela était terriblement épuisant. Mais ce qui lui faisait face en ce moment-même, l'énergie qu'il cueillait au creux de ses mains et le pouvoir de se transformer en un tout autre homme, dans un tout autre univers, ne serait-ce que l'espace de quelques heures, était une merveille pour son propre équilibre. Il avait déjà songé à chercher un travail dans l'édition comme il l'avait fait au tout début de sa carrière, ou bien de faire un peu de forcing à l'université pour avoir des classes supérieures. Mais si ça avait été son désir durant plusieurs années, à présent il ne pouvait pas envisager de quitter le cirque. Il aimait trop la liberté qu'il lui offrait. Le bonheur d'être sur scène et la cohésion des artistes derrière le rideau. C'était une expérience humaine tellement forte qu'il en était devenu complètement dépendant.
Certains ne le comprenaient pas, et ceux qui lui étaient le plus proche étaient les plus perplexes. Comment admettre que Sylvain qui était toujours si réservé, si calme, si discret et peu démonstratif, puisse aimer se montrer sur une scène d'une telle manière ? Agiter les bras et les jambes, faire le clown, amuser la galerie ou animer de magnifiques spectacles plein de poésie qui demandaient de grandes déclamations dignes d'un troubadour des temps anciens. Comment ce même Sylvain pouvait-il être tout dans la vraie vie et son contraire sous un chapeau coloré ? Il n'essayait même plus de s'expliquer. Rare étaient ceux qui l'écoutaient réellement quand il en parlait, quand il tentait de faire comprendre le sentiment exaltant qui l'envahissait devant le public. Peut-être était-il réellement deux personnes différentes. Peut-être était-ce la particularité de tous les artistes. »

Et ils chantentWhere stories live. Discover now