Et ils chantent

Présentation d'Éléonore - Le bar

Elle attendait patiemment à la table du café, juste à côté du vitrage, la place qu'elle préférait. D'ici, elle pouvait, à la fois observer les passants qui déambulaient dans la rue, garder un œil sur la porte qui s'ouvrait et se fermait fréquemment, tout en fixant le bar, où se trouvait le charmant serveur. Elle donnait systématiquement rendez-vous à ses amis ici. Ils étaient les premiers à baigner dans l'incompréhension, et le lui faisaient savoir à chaque fois, mais elle y tenait. Apercevoir la lueur d'agacement, voire de haine, dans le regard du barman ne faisait que l'encourager d'autant plus. Tout le monde savait qu'il faisait preuve de la discrimination la plus révoltante – même le patron –, pourtant, il conservait soigneusement son poste, tout simplement parce qu'il était un atout pour le chiffre d'affaires des soirées. Il était beau et séducteur, le savait et jouait de son charme autant sur les femmes que sur les hommes sans aucune retenue. Le pire était que cela fonctionnait à merveille, et ce café fonctionnait très bien une fois la nuit venue. Cela, Éléonore le savait également, et c'était un élément de plus pour imposer sa présence à cet homme qui la répugnait au plus haut point.

Une femme aux cheveux écarlates apparut auprès de Léo et s'assit face à elle.

— Salut ma grande ! Alors, encore ce café de malheur ?! lâcha-t-elle à mi-voix.

— Je viendrai ici, sous les yeux de ce sale type juste pour l'emmerder jusqu'à ce que mort s'ensuive.

— Je ne te comprends pas, Léo.

Cette dernière arbora un grand sourire.

— Je sais.

Sa sœur l'avait jadis défendue face au racisme et au harcèlement dans sa salle de classe, ce qui avait donné lieu à une conversation dans sa famille, le soir-même. « Léo, ne laisse jamais la couleur de ta peau être un obstacle. Jamais. Ils souhaitent faire de toi une victime, mais tu n'en es pas une. Tu es française, qu'ils le veuillent ou non, mais plus que ça, tu es une citoyenne de ce pays et de ce monde, au même titre qu'eux. Montre-leur que tu es plus forte. » Ces mots, elle les avait toujours laissé résonner en elle, et le mot victime s'était envolé en poussière.

Quand elle s'était mise à fréquenter ce bar et qu'elle avait compris que le serveur était raciste, elle avait fait la sourde oreille. Quand il avait commencé à être désobligeant, elle l'avait intelligemment envoyé paître. Ses amis avaient commencé à lui dire qu'ils feraient mieux de trouver un autre endroit pour se retrouver, que la ville était suffisamment grande et regorgeait de cafés pour se sentir plus à l'aise, mais elle avait fait la fine bouche. Et puis il y avait eu cet homme qui avait été embauché. Tout comme elle, ses origines étaient inscrites sur sa peau, et elle avait été témoin de la manière dont il était traité. Elle avait tenté de le défendre une fois, et ses amis l'avaient stoppée en craignant une réaction du serveur. Puis l'homme de couleur avait fini par démissionner. Éléonore en avait été tellement en colère qu'elle avait irrémédiablement décidé de se rendre tous les jours dans ce café s'il le fallait, juste pour faire face à l'ordure qui y travaillait et lui envoyer des regards acérés et fiers pour répondre à la stupidité et la méchanceté qu'il lui envoyait.