Le commerce triangulaire

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Je m'appelle Léon. Je bourlingue à travers des vents cinglants, ensablés, dans un désert aride. Les rafales m'offrent au moins un avantage, elles couvrent mes traces de pas dans les dunes. En retour, une quinte de toux m'assaille, j'essuie cette tempête intérieure, je plisse les paupières, je poursuis ma route avec un unique itinéraire : survivre.

Qui serait assez con pour traîner ici ? Hé bien, moi, le vagabond. Parce qu'Ils ont abattu mon ancien chez-moi. Ils ont aussi déraciné ma famille, je ne sais pas ce qu'elle est devenue, je ne l'ai jamais revue. Chaque arbre, branche, feuille, animal, oiseau, insecte autour de ma demeure d'antan ne souffle plus. Une fois, j'y suis retourné, de nuit, le béton y a poussé, et les carrières ont éventré la terre de mes ancêtres. Des machines tonitruantes ont remplacé les chants de la gent ailée. Des ânes et des chevaux servaient d'outils. Eux, ils ont de la chance. Quelques taillades d'éperons valent mieux que des traces de fouet sur le dos.

Ma race se décarcasse pour des maîtres, ou elle crève. Ceux qui acceptent la première solution gagnent un peu de répit, se résignant d'une mort à petit feu, en silence. Malgré leur sacrifice, les seconds se libèrent d'une condition d'esclave.

Qui sont-ils ? Je ne sais pas, souvent ce sont des noirs, aux côtés d'un pâle, qui réalise de larges gestes dans toutes les directions.

Ensuite, la traque démarre, les canons crachent des coups de tonnerre et le feu se répand dans l'air comme une traînée de poudre. Ma mère m'a toujours conseillé de courir et de me terrer dès que leurs pas résonnent.

Mais, le temps affaiblit les muscles et l'esprit, un jour, on ne s'enfuit plus assez vite, on se résigne à terminer entre quatre barreaux ou entre quatre planches.

Les bourrasques se calment enfin. Le sable recouvre le sol à perte de vue, et ses bouffées de chaleur tutoient l'horizon azur. Quelques maigres plantes résistent encore sous ce soleil de plomb. Les cactus regorgent d'eau, même si leurs épines piquent la langue. Pendant certains moments, j'ai tellement soif que je pourrais boire mon propre sang. Je mange des insectes, des lézards, des fourmis, voire même des araignées, ils sont nombreux et faciles à capturer. Ils sont aussi remplis de protéines ! Malheureusement, d'autres prédateurs rôdent, et pour eux aussi, je suis rempli de protéine ! Lions, guépards, hyènes, corbeaux, serpents, et les pires ; les chimpanzés, ils m'attendent au tournant. Je suis toujours alerte. Leur moment de dépiauter mon cadavre exsangue n'est pas arrivé.

Parfois je pense à regagner mon monde, la vie s'avérerait plus facile, mais je le sais, mes traqueurs y ont pris racine. Ils ne me poursuivent pas sur ces terres désolées. Leurs épidermes clairs y souffrent affreusement. Les vallées de sable et les rocs me camouflent. Le désert me brûle la peau et me la protège en même temps. Le soleil demeure mon meilleur allié et mon pire ennemi.

J'erre depuis des heures et des kilomètres. Un oasis semble loin, je le poursuis. Est-ce un mirage ? Tant pis. J'ai trop soif pour me tourmenter l'esprit avec de telles questions.

Après des heures de marche, j'y arrive enfin. Une flaque d'eau stagne là, boueuse et croupie. Est-elle potable ? Tant pis. Je me baisse et je lape plusieurs lampées de ce liquide abject.

Suite à cette dégustation, mon ventre gargouille. Quand ce n'est pas la langue, c'est l'estomac qui réclame et inversement, et infiniment.

Je me relève via mes deux maigres pattes, et je contemple mon cuir noir, usé par ma cavale. Mes petits yeux charbonneux se reflètent dans le sillage de l'eau déplacée par une brise.

« Quel crime infâme ai-je donc commis pour subir un tel sort ? » songeai-je Je tousse légèrement. Mes deux mimines essuient ma sale gueule. J'éternue, je frissonne. Malgré les quarante-cinq degrés, j'ai froid. Une quinte de toux s'annonce dans mes poumons. Mes postillons giclent dans le sable fin. Leurs camarades repassent à l'offensive. Mes poumons les emprisonnent, alors ils s'évadent, brutalement.

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⏰ Last updated: May 10, 2020 ⏰

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