Chapitre 2 - Partie 2 : RED SKIRT

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L'ambassade française placée à Londres était un bâtiment commun à beaucoup d'autres. La démarquait du reste uniquement le drapeau tricolore qui flottait mollement, battu par une pluie légère et les lustres alimentés au gaz qui illuminaient la moitié du troisième étage.

Dans le feutré à dominante bleu roi du corridor qu'ils longeaient, serpenté de colonnes à cannelure, les deux agents français alimentaient leur conversation de quelques souvenirs quand le sujet se détourna sur des affaires plus privées.

— Tu as des ennuis avec elle ?

— Avec qui ?

— Doraleen McFear.

— Un problème ? Cette petite soubrette sans intérêt ? De beaux atours, mais aux demeurant la plus ignorante, délurée, imparfaite des femmes.

— Tu as donc un problème.

— J'ai donc un problème, avoua sans faux-semblant Delhumeau, en jetant une main désinvolte en direction d'une entité invisible. Elle... Elle ne me dit rien, reste froide, stoïque. Personne ne reste insensible en ma présence, Ferguson est pertinent, toi, badin, et même Alice a trouvé sa parade en piaillant comme une guenon. Mais elle... Elle ne dit rien ou joue de ses charmes pour mieux me laisser échaudé. Ce n'est pas normal.

— Dois-je comprendre qu'une femme te déstabilise par l'ignorance qu'elle affecte de ta personne ?

— Non, se défendit Henry devant tant de clairvoyance. Et de quoi je me mêle d'ailleurs ? Tu ferais bien mieux de te préoccuper de ta dinde de femme.

— Parle encore de mon épouse en ces termes et je te...

— Entrez !

Cette injonction laissa en suspens la menace proverbiale de Clément Petitpont et les deux hommes pénétrèrent le bureau par la porte restée entrouverte. L'antre de François Chapuis, l'homme par qui passaient toutes les affaires qui suscitaient l'intérêt français, sur le sol anglais.

L'homme était de moyenne corpulence et son siège l'avait affublé d'un ventre qui s'était encore arrondis depuis la dernière fois que Henry avait eu affaire à lui. C'était il y a des mois de cela, convenu d'un accord nullement commun qu'il aurait à faire à son ami et supérieur Clément Petitpont pour les ordres de mission qui lui seraient donnés. C'était que tout en François Chapuis rebutait l'honnêteté que Henry se conservait en secret, comme un joyau à ne pas montrer à tous les regards.

L'homme était infecté de bonnes manières surfaites et de bons mots dégoulinants. Comme beaucoup de "grands" hommes, il avait su faire sa place en caressant la fatuité de ceux qui avaient agi pareillement en leur temps. Sa chevelure de boucle d'or et ses yeux bleus malicieux le faisaient paraître un ange. Henry n'y voyait que le visage adorable du démon qui se servait de son intelligence à des fins personnelles. À commencer par mettre souvent à son compte les exploits de Henry Delhumeau.

Ce dernier s'en moquait bien, mais une part de lui rêvait silencieusement de lui rendre la monnaie de sa pièce en temps et heure.

— Est-ce à cette heure que l'on vient ? Je vous ai demandé de venir au plus vite.

— J'avais une affaire urgente à régler, répondit Delhumeau sans laissait le temps à Petitpont d'haranguer une excuse qui serait passée bien plus aisément.

— Je l'espère, rien de personnel, Henry ?

Qu'il était également détestable dans cette manie de l'appeler par son prénom, comme si un quelconque lien d'amitié les liait.

Delhumeau prit le temps de s'asseoir confortablement. Il savait que ce geste serait interprété comme il se devait : la volonté de montrer qu'il resterait aussi longtemps qu'il le souhaitait. Une attitude qui ne ferait qu'accentuer l'irritabilité de Chapuis, même si en vérité Henry n'escomptait pas éterniser l'entrevue. À près d'une heure du matin, le voyage avait par trop agit sur sa réactivité et le besoin de dormir se faisait sentir.

66 Exeter Street, tome 3 : Les vacances de Monsieur DelhumeauМесто, где живут истории. Откройте их для себя