3ème partie

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Toksa était captivé... sa sœur s'était mise à danser comme mue par une volonté autre que la sienne. Il avait de la peine à la reconnaître. Accoutrée de sa tenue blanche, les dessins abstraits se mélangeant à cause des mouvements de plus en plus rapides de la jeune femme prise dans sa transe, Kamimila ne ressemblait plus à la grande sœur qu'il avait vu partir de Nagiwitka il y a de cela quelques Lunes maintenant.

Il faut dire qu'il y avait eu des événements marquants. La guerre, les combats, la défaite... de plus, Toksa était persuadé que le fait qu'elle ait vu son ancien compagnon après tant d'années de séparation, et en plus dans le camps adverse l'obligeant à le tuer ne l'ait pas laissée intacte. S'il rajoutait sa quasi-certitude, malgré le fait qu'il lui ait dit le contraire, de l'avoir vu à la cité alors qu'il était censé être mort, il y avait de quoi ébranler n'importe qui. Même lui était chamboulé, et le rituel qui se passait sous ses yeux n'arrangeait rien.

Sa grande sœur réalisait des pas d'une danse mystique, qui traçait un cercle autour de l'Arbre de Feu, les pans de la jupe voletant à sa suite. Il l'entendit soudain psalmodier une litanie. Il reconnut certains mots lus dans le journal de la chamane. La mélodie paraissait mélancolique par moment, puis plus autoritaire à d'autres. Il n'aurait su dire la signification des mots, mais ils résonnaient en lui d'une étrange façon. Comme s'ils avaient été enfouis si profondément dans sa mémoire qu'il pouvait les reconnaître même s'il ne les connaissait pas.

Sa sœur accéléra la cadence, puis ralentit, pour mieux accélérer par la suite, les paroles murmurées suivant la cadence. Parfois elle les citait dans un chuchotement, puis le ton s'amplifiait pour redevenir un murmure à peine audible. Il la voyait tournoyer, élevant les bras et les rabaissant en un rythme inaudible pour lui. Il lui semblait par contre que le feuillage accompagnait Kamimila... le bruissement était perceptible et suivait ses mouvements, alors que le vent était absent. Est-ce que l'Arbre de Feu parlait à sa sœur ? Le jeune homme avait cette nette impression en tout cas.

Pour le moment il était soulagé, à part des vertiges dus à la boisson fantasmagorique et de tourner sur soi, la jeune femme ne risquait rien d'autre. Pourtant il savait que la partie la plus délicate allait bientôt arriver. A cette pensée il commença à angoisser... et s'il n'arrivait pas à réagir assez vite pour la sauver si cela tournait mal ? Ou au contraire, si sa peur stoppait le rituel et mettrait en danger sa sœur ? Elle lui avait dit qu'elle lui faisait confiance, elle lui avait dit de suivre son intuition, mais tout cela n'empêchait pas Toksa de s'inquiéter...

Soudain, il entendit un bruit sec provenant de l'Arbre. Le tronc craqua et une fissure commença à lézarder le long de l'écorce. Dans le même temps, les mains de sa sœur devint lumineuses. Des flammes se formaient dans ses paumes, et avec les mouvements amples qu'elle effectuait, elles formaient presque un cercle parfait. Le Wakinyan retint son souffle... la partie la plus délicate commençait...

oO0Oo

Elle était elle, sans être elle-même. Quelque chose avait changé dès qu'elle avait posé ses mains sur le tronc. Elle avait senti une résonnance en elle, entendu un battement comme celui d'un cœur, ressenti un rythme et une mélodie. Puis sans qu'elle l'ait vraiment voulu, Kamimila s'était mise à danser, oubliant tout ce qui pouvait l'entourait. La raison n'avait plus lieu d'être, seules étaient importantes les sensations parcourant tout son être. Le bruissement des feuilles couleurs feu l'accompagnant, le battement du tronc donnant la cadence, le froid de la terre sous ses pieds nus lui transmettant le savoir, une force invisible la guidant dans sa transe. Seulement des sensations et pourtant elle se sentait en paix, elle savait qu'elle faisait ce qu'il fallait.

Elle n'était qu'un catalyseur. Elle s'en rendait compte maintenant. La puissance qui émanait de l'Arbre, du tronc, de l'œuf probablement, avait sa propre existence. Il lui manquait seulement une étincelle pour exploser, éclater, fuser. La jeune Wakinyanne serait cette étincelle. Car la vie était déjà en l'œuf. Il n'était ni mort, ni inanimé. L'Oiseau-Tonnerre avait été présent durant tous ces siècles, gardien si proche et si lointain en même temps, dans sa coquille protectrice au sein de cet arbre millénaire. Juste endormi. Mais elle le sentait gronder, comme elle-même avait été en colère face aux massacres et aux pillages sur tout le continent de cet envahisseur. Il lui fallait cette étincelle pour se réveiller totalement, pour laisser rugir la colère du Tonnerre. Car elle comprenait maintenant qu'il avait ressenti toute la détresse des différents peuples, la souffrance des terres souillées. Sa colère était immense.

L'appel du FeuWhere stories live. Discover now