DÉPRESSION

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Poirot n'allait pas bien. C'était indéniable. Assis à son bureau, les yeux dans le vague, il méditait. Le capitaine Hastings l'observait, inquiet.

« Vous devriez vous reposer, Poirot. N'oubliez pas ce que le docteur...

- Je vais bien Hastings, le coupa-t-il d'une voix lasse.

- Mais Poirot, je suis sûr qu'un peu de repos vous...

- Je vais bien Hastings !, dit-il plus sèchement. Merci ! »

Et Poirot se leva, fermement décidé à clore la conversation. Mais Hastings savait que c'était faux. Poirot n'allait pas bien.

Le détective était encore faible, amaigri. Sa dernière enquête aux côtés de la police l'avait éprouvé moralement et physiquement. Une sordide affaire de meurtres d'enfants. Poirot avait même pris une balle en exposant sciemment sa vie pour arrêter cet homme sadique. Une balle en pleine poitrine, des semaines d'hôpital, un état dépressif, des pensées mélancoliques avaient brisé l'infatigable Hercule Poirot. Il n'était plus que l'ombre de lui-même.

Même l'inspecteur Japp s'en était aperçu et avait conseillé à Hastings de surveiller Poirot de près...et le véronal... Quant au chirurgien, il avait insisté pour que Poirot fasse un séjour en maison de repos. Ce que le petit Belge avait refusé catégoriquement.

Cela faisait maintenant trois jours que Poirot était rentré, prostré à son bureau, les yeux perdus dans le lointain.

Hastings ne pouvant supporter cette ambiance morne une minute de plus, se leva à son tour, laissant Poirot à sa douleur. Il se réfugia auprès de la secrétaire, miss Lemon.

« Poirot m'inquiète, avoua-t-il.

- Peut-être qu'une enquête le sauvera. »

Les deux amis de Poirot se regardèrent, pas convaincus du bien fondé de cette remarque.

« Il refuse toute enquête. Hier encore, Japp est venu le voir pour une histoire de vol spectaculaire.

- Il est encore sous le choc. Ces enfants... »

La phrase laissée en suspens cachait des meurtres atroces, des souffrances ignobles infligées à des enfants et qui avaient durablement marqué la population.

« Oui, miss Lemon. Mais il faut qu'il s'en remette. Sa blessure doit encore le faire souffrir. »

Miss Lemon secoua la tête tristement.

« Vous ne comprenez pas, capitaine Hastings. Ce n'est pas la balle mais la culpabilité qui le fait souffrir.

- La culpabilité ? Quelle culpabilité ? Il a permis d'arrêter le coupable et a même failli mourir pour cela. Il n'est coupable de rien, il... »

Hastings s'échauffait, défendant l'honneur de Poirot avec ardeur mais Miss Lemon l'arrêta avec un sourire amer.

« Coupable d'avoir laissé mourir quatre enfants avant d'avoir capturé le meurtrier. Voilà ce qui le ronge.

- Il a fait ce qu'il a pu.

- Ce n'est pas ce qu'il pense.

- Mais Japp est dans le même cas et il ne souffre pas de culpabilité.

- Il ne le montre peut-être pas ou alors il arrive à faire la part des choses. Notre monsieur Poirot n'a pas l'habitude de l'échec et pour lui, cette affaire en est un. Et que des enfants soient tués... »

Le silence retomba sur la conversation, ils regardaient Poirot, resté debout, devant la fenêtre, aussi apathique que tout à l'heure.

« Je comprends, murmura doucement Hastings.

- C'est plus grave qu'il n'y paraît, reprit Miss Lemon.

- Vraiment ? Je ne vois pas comment.

- J'ai sciemment oublié sa tisane. Regardez l'heure qu'il est. »

La pendule affichait 11 heure 45. Quarante-cinq minutes de retard pour la tisane et Poirot ne réagissait pas. Hastings en fut horrifié.

« Il n'est conscient de rien. Je ne sais même pas s'il pense à se nourrir. Il n'y a rien dans ses réserves, la vaisselle n'est pas salie, il ne sort pas de son appartement.

- Mon Dieu ! Il va mourir de faim !

- Il ne prend pas ses médicaments contre la douleur.

- Que faire ?, demanda le capitaine Hastings.

- Je ne sais pas, avoua Miss Lemon, des sanglots dans la voix. Mais je trouverai ! »

Le capitaine Hastings prit dans ses bras une Miss Lemon en larmes, ne sachant trop comment la consoler.

Poirot n'allait pas bien, mais Miss Lemon était fermement décidée à trouver une solution.

Le docteur Attler était venu voir Poirot, il constata la guérison en bonne voie de sa blessure mais également l'état général d'affaiblissement du détective. Cela ne lui plus pas.

« M. Poirot ! Je vais être contraint de vous faire enfermer dans une maison de repos si vous ne suivez pas mieux mes prescriptions ! »

Le petit Belge était assis et descendait lentement la manche de sa chemise après l'examen du docteur.

« Je suis vos prescriptions, docteur ! Je me repose, je ne fais rien.

- C'est bien ça le problème ! Vous vous morfondez et devenez neurasthénique. Votre état demande du repos mais aussi un bon état d'esprit. Vous avez besoin d'un suivi psychologique. »

A ces mots, Poirot se figea, les yeux pleins d'éclairs.

« Poirot n'a pas besoin d'un psychologue. Il n'est pas fou !

- Non, mais il va le devenir s'il n'accepte pas de se reprendre. Vous maigrissez, ne mangez presque rien, refusez de prendre vos antidouleurs. Vous devez partir en repos...ailleurs...pour vous changer les idées. C'est la seule solution. Et un conseil d'ami. »

La voix du docteur était passée graduellement de dure et sèche à douce et bienveillante.

« Votre tension n'est pas bonne. La prochaine fois que je découvre ce résultat, je vous envoie en repos forcé. A la campagne ! »

Poirot ne répondit rien et le docteur s'en alla, non sans avoir répété à Hastings de faire partir Poirot, par tous les moyens, lui changer les idées, sinon il risquait de sombrer dans une dépression si totale que des mois de traitement n'en viendraient pas à bout.

Heureusement, Miss Lemon avait enfin un plan. Elle en fit part à Hastings qui en fut emballé.

M. Hercule Poirot avait des relations dans de nombreux milieux et beaucoup de personnes lui étaient immensément redevables. L'une d'elle était une comtesse, Lady Bentley, et vivait dans le fin fond du Sussex. Poirot avait sauvé son mari de la potence et protégé la famille du scandale, il y avait de cela dix ans. Aujourd'hui, Lady Bentley était veuve et habitait seule une grande demeure bien située dans la campagne. Régulièrement, elle invitait le fameux détective à passer quelques jours à ses côtés. Et Miss Lemon décida de contacter cette dame et de la convaincre d'accueillir Poirot pour quelques jours sans lui cacher la gravité de son état. Elle lui téléphona et expliqua brièvement la situation. La brave Lady, heureuse de rembourser une partie de sa dette envers Poirot accepta avec enthousiasme d'inviter le détective à se reposer à ses côtés.

Poirot face à l'amourNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ