Chapitre 7

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Simon-Loup se met debout et s'étire comme un chat.

- On s'arrache ? il demande, sans que ce soit vraiment une question.

Je prends une photo artistique de nos trois tasses vides sur leur guéridon de marbre, sans tenir compte de son sourire ironique, et je me lève à sa suite.

- On fait quoi ?

- Les quais de Seine, ça vous dit  ? C'est un coin que j'aime bien...

Il fait un rapide quart de tour sur lui-même et pointe une direction approximative.

- Mmm... par là je pense.

On le suit sans discuter.

Comme c'est à deux pas, on s'y rend à pied, sans se presser. Simon-Loup, les mains dans les poches, tend son visage au soleil en avançant d'un pas nonchalant. Noah regarde le sol, à nouveau perdu dans ses pensées. Je marche au milieu d'eux, et je réprime une envie irrésistible de leur passer les bras autour du cou, dans un geste d'amitié.

Amitié ? Ben voyons... J'entends quelqu'un ricaner quelque part dans ma tête. Et pourtant, c'est le sentiment que j'éprouve sur l'instant, dans toute sa pureté : le plaisir d'être ensemble, à déambuler sans but, escortée par mes chevaliers au grand cœur, sans qu'aucun de nous ne ressente le besoin de mettre des mots sur ce moment parfait.

Comme personne ne regarde vraiment où on va, on finit par se perdre. Mais après tout, s'égarer est encore la meilleure façon de visiter Paris.

"Rue Jean-Jacques Rousseau", annonce Noah en repérant la plaque de rue.

C'est une petite rue parisienne étroite, bordée d'immeubles élégants en pierre de taille où le moindre appartement doit nécessiter le compte en banque d'un prince saoudien.

- C'est ici que je vivrai plus tard ! j'annonce tout de go.

Simon examine la rue avec curiosité, puis se tourne vers moi avec un petit air entendu.

- Tu acceptes les co-locataires ?

- Vu le prix des loyers, je ne suis pas sûre qu'on aura chacun sa chambre !

- C'est une promesse ? me demande-t-il avec son sourire de tombeur, tandis que Noah se renfrogne et maugréé quelque chose d'inintelligible.

Ha, ha ! L'un flirte, l'autre grogne. Je me dis que c'est un petit jeu sans conséquences.

On s'avance en marchant tranquillement au milieu de la chaussée.

- Hééé !

Je bloque instantanément, comme un chien truffier en plein Périgord. Il y a face à moi, au numéro dix-neuf, une boutique de chaussures à semelles rouges qui me fait aussitôt oublier mes compagnons. Je les plante là et je vais littéralement lécher la vitrine.

Je ne suis pas très mode et j'avoue que les shopping prolongés m'ennuient un peu. J'aime bien m'habiller, comme la majorité des filles je suppose, mais je ne suis pas toujours très sûre de mes goûts ou de ce qui me va. Du coup, j'ai tendance à me réfugier dans les basiques parce qu'avec le combo Stan Smith, jean, petit top sympa, il y a peu de chance de fashion faux-pas. Mais au fond de moi, j'ai le fantasme très clair de tenues plus audacieuses. Et une chaussure sculpturale avec un talon vertigineux arrive très haut dans mon hit-parade.

J'ai bien essayé cet été, pour le mariage d'une cousine, mais mon père a fait une syncope et je me suis payée la honte de devoir rapporter les chaussures en magasin. Je me souviens encore de notre conversation houleuse, dans la cuisine, mes escarpins à peine déballés. Il a brandi un mètre bricoleur et il a laborieusement déplié cinq malheureux centimètres du ruban jaune en me disant : "Maximum !" J'ai pris mon air le plus cajoleur et j'ai même sorti le "Papounet" des grandes occasions, et j'ai réussi à lui faire avancer ce satané ruban de deux centimètres supplémentaires. Mais mon paternel m'a mise en garde sur un ton sans réplique : "Uniquement pour les grandes occasions... mais vraiment très très grandes !"

Je suis fière de mes dix-sept ans, mais j'ai compris ce jour-là que je resterai toujours une enfant dans les yeux de mon père.

Depuis, je me suis fait la promesse que mon premier salaire serait entièrement consacré à des chaussures de rêve...

- Tu cherches une pantoufle de vair, Cendrillon ?

Je reconnais tout de suite la voix caustique qui vient se balader impunément au milieu de ma rêverie. Ce garçon n'a aucun respect pour les fantasmes des autres.

- Je fais des repérages. Pour dans quatre ou cinq ans.

- On n'a qu'à rentrer jeter un coup d'œil !

- Non mais ça va p...

Simon-Loup ouvre la porte du magasin d'un air blasé et Noah s'engouffre à sa suite. Je leur emboite le pas après un moment d'hésitation, rouge de honte.

Ma journée de princesse (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant