Être, vouloir et devenir

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On m'a souvent demandé ce que je voulais devenir.

J'aurais voulu te dire que j'avais naïvement répondu que je voulais juste être heureuse, ou inventé un métier impossible. Mais, bien que j'ai longtemps songé à devenir pirate, ma réponse fut bien moins poétique.

En effet, la première fois que l'on m'a posé cette question, probablement en grande section, je n'ai pas répondu.

Fidèle à moi-même j'ai planté mes yeux d'enfant dans le regard de cette grande personne qui attendait, patiente, la réponse innocente d'une petite fille souhaitant suivre le chemin de ses parents, devenir pompier, infirmière, astronaute, voyageuse ou simplement être heureuse.

Mais la grande personne, face à mon silence, me rassura :


" Il ne faut pas s'en faire, tu as le temps, tu peux réfléchir."


Et c'est ainsi que je me lançais dans l'analyse assidue des réponses de mes camarades, observant les grandes personnes et leur réactions afin d'en déduire ce que l'on pouvait bien attendre de moi.

Alors, lorsqu'au CP on me reposa la question, j'étais prête, et répondais un métier bien précis, sachant parfaitement où j'irais.


Puis tout s'est enchaîné.


Il fallait faire des choix, toujours plus précis, toujours plus contraignants, limitants, agaçants, avec cette question pressente qui revenait chaque année, une, deux, trois fois : "que vas tu devenir ?"


Question que l'on pourrait autrement traduire comme : "A quel rôle pense-tu pouvoir prétendre pour avoir ta place dans le Monde ?"

Les attentes que cette question impliquaient m'ont toujours terrifiée. Elles signifiaient qu'il fallait que je "devienne" quelqu'un ou quelque chose, et, par conséquent, que ce que j'étais ne suffisait pas. Il fallait que je parvienne à modifier la place que j'occupait dans le Monde, ma situation, qui j'étais.


J'ai alors réalisé quelque chose de terrible. 


"Qui j'étais ?"


 Voilà une question à laquelle j'étais bien incapable de répondre. On m'avait de nombreuse fois demandé ce que j'allais devenir, mais jamais on ne m'avait demandé qui j'étais, là, maintenant.

J'ai alors éloignée cette question le plus loin possible de mes pensées. C'était une question sans réponse et je déteste les questions sans réponse. Je préférais nettement l'oublier.
Pourtant elle continuait de trotter dans ma tête, un peu comme toute chose que l'on déteste en fin de compte, elle restait toujours là, même de très loin.

J'ai tenté de me persuader que l'important n'était pas mon point de départ, mais bien mon point d'arrivée. 

J'ai alors tout fait pour "devenir" la meilleure version de moi-même, corriger toutes mes failles, faire en sorte de pouvoir agir et réagir "normalement" et correctement à toutes les situations, répondre à toutes les attentes sans trop sortir du lot.

Je voulais une version de moi-même que l'on ne pourrait pas critiquer, une personne infaillible et capable de répondre à toutes les exigences du monde. 

Je n'ai jamais voulu " être heureuse", ce que je voulais, moi, c'était rendre les gens heureux, les faire sourire jusqu'aux yeux et leur donner l'espoir et la bienveillance que je n'avais pas pour moi-même.


Mais alors, si tout ça était mon devenir : Qui j'étais, moi, en attendant ?

Rien.


Des larmes et un coeur tellement plein qu'il me paraissait vide, car mes émotions, je les avait chassées et qu'encore aujourd'hui j'ai du mal à bien les reconnaitre.

J'étais un nom, un âge, des dates, une adresse et une histoire dont je me censurais des passages pour ne pas prendre le risque de contaminer les si beaux sourires qui m'entouraient. 

J'étais aussi une fille, un corps, un regard et un esprit. 

Monstre, zèbre, hpi. 

J'étais désolée, souvent, sans forcément de raison. 

J'étais frisson, théâtre, danse, livres, connaissances. Des connaissances et des concepts complexes, étudiés dans le seul but de m'échapper un instant de ce flot permanent d'informations et de pensées aussi désagréable qu'intrusif.

J'étais des rêves, des sourires, des chansons. 

J'étais l'imagination, la peur et l'espoir. 

J'étais celle qui voulait qu'ils restent même si toute ma vie ils sont partis. 

J'étais confiance et amis, j'étais aussi haine, colère et maladresse. J'étais critiquée, montrée du doigt, mise de côté, trop ou pas assez.

J'admirais tout et tout le monde.

 Et maintenant ? Qu'est ce que je veux ?

Je veux danser, chanter, courir, jouer.

Je veux écrire, cuisiner, apprendre et impressionner. 

Je veux me sentir comprise et en sécurité. 

Je veux croire même à l'impossible, je veux me battre et ne plus choisir ou abandonner mes combats. 

Je veux procurer des émotions aux gens. 

Je veux suivre mes plans les plus fous et je veux quelqu'un qui veuille me suivre, moi. 

Je veux utiliser mes capacités à leur maximum et construire ma réalité avec les plus belles croyances : 


Je veux vivre et rester.

Les cicatrices d'une NoctambuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant