11 - Et tout s'effondre

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16h08, Le Santa Maria 

"A l'abordage !" Crie Jack, son pistolet pointé sur le navire d'en face. 

    Edward, perché en hauteur à côté du gouvernail, observe Ohanna. Parmi le fouillis de pirates, il aperçoit sa rousse, son épée à la main. Elle manie l'arme à la perfection et ne fait qu'une bouchée de l'ennemi. Depuis quelques jours, il semblerait qu'elle ait retrouvé goût aux abordages et autres batailles. Elle aime sentir son corps et son cœur s'emballer du fait de l'adrénaline. Elle aime voir tomber un à un les pirates. Toute sa rage et son désespoir se jettent dans les coups d'épées et les tirs de pistolets. Edward est heureux de voir qu'elle a trouvé une façon d'évacuer sa peine. 

    Pablo, quant à lui, reste un peu en retrait. Même si il maîtrise l'art de manier les armes à la perfection, jamais il n'a combattu du côté des pirates. Il préfère rester en arrière et observer. Pablo voit dans les yeux des pirates une rage que jamais il n'avait pu observer chez ses compagnons corsaires. Il les scrute s'avancer dangereusement vers l'ennemi, leur trancher la tête et sourire. Sans scrupules. Sans remords. Sans incertitudes. Ils foncent tête baissée. Ils savent ce qu'ils font. Ils n'ont pas peur de l'échec simplement car ils ne connaissent pas la défaite. 

     Pablo croise alors le regard d'Ohanna, en pleine course. Elle lui lance un sourire en coin avant de tranché la gorge d'un corsaire. Toujours ses iris verts tournés dans sa direction, elle attrape son épée et le bras d'un corps sans vie qui traîne à ses pieds. Elle essuie doucement son arme tachée de sang. Elle nettoie son acte pour mieux recommencer. Ohanna envoie un clin d'œil à l'espagnol puis repart. Pablo, troublé, se demande comment une femme peut avoir autant de sang froid. Il admire son courage. Jamais il n'aurait imaginé la jeune rousse d'une telle manière. L'homme pensait plutôt à une grande lady, mince et frêle. Sa peau blanche faisant ressortir ses tâches de feu parsemant ses joues. Mais face à lui se dresse une femme aux courbes sensuelles, musclées, avec un teint halée, au plus grand plaisir de Pablo. 

     Perdu dans ses pensées où Ohanna y est reine, une voix le coupe de sa rêverie : 

" - Petit Pablo a peur de se faire tuer ? lui lance la rousse, taquine. 

L'espagnol lève les yeux au ciel puis baisse la tête pour regarder Ohanna. Elle joue de ses doigts avec la pointe de son épée. Un sourire malicieux habille son visage. Les deux compères sont pris au milieu d'une foule de corps à terre qui seront bien vite donnés aux poissons en guise de nourriture. Est-ce bien là un endroit convenable pour une lady, pense Pablo ? Il sait qu'Ohanna n'a pas sa place ici, mais pour le moment, il est heureux de l'avoir à ses côtés. 

- Attention, cari, mon épée pourrait vite venir amocher ton adorable visage, Pablo lui répond d'un air menaçant. Ce serait dommage, n'est-ce pas ?" 

Ohanna rit de plus bel et repart aider le reste de l'équipage. Pablo, quant à lui, se décide enfin à passer à l'attaque. Il rejoint les autres membres au pas de course. 

    Maud est cachée dans la cale du Capitaine. Tout l'équipage s'est mis d'accord dés le début pour qu'elle reste à l'écart de tout combat. La brune est bien trop peureuse et si peu agile avec les armes. Elle a passé toute sa vie sur des bateaux pirates sans jamais apprendre à manier l'épée ou le pistolet. Étendue sur le lit de Jack, elle sursaute à chaque tir lancé. Ses poils se hérissent à chaque son strident qui proviennent d'une épée. Depuis toujours Maud rêve de mener une ville normale ; contrairement à Ohanna qui ne se voit pas ailleurs que sur l'eau. Elle s'imagine, vendre ses légumes et céréales sur le marché hebdomadaire de son village. Ensuite, elle se voit rentrer de sa longue journée de travail, épuisée, mais heureuse de retrouver son mari et ses enfants. Elle leur ferait à manger ; Maud est une super cuisinière, elle a tout appris d'Eddy. Une larme cascade sur sa joue à la pensée de son cuisinier. 

    Maud rêve de revenir sur la terre ferme. D'avoir une maison qui l'accueillerait chaleureusement tout les soirs. D'embrasser ses enfants sur le front, avant de rejoindre Morphée dans les bras de son mari. Mais la brune connaît la vérité : elle n'a aucune idée de la vie sur terre. Elle n'a pas de maison, pas de cultures, pas de mobilier. Pas d'enfants. Pas de mari. Eddy est partit. Sa vie se résume à la robe que l'ancien Coq lui a offerte et ses trois amis. Elle pense à Ohanna. Maud n'arrive pas à imaginer la rousse en robe de bal et coiffe extravagante. Elle peine à voir Ohanna, en compagnie des grands de la cour anglaise. Elle ne peut pas la voir à table, manger, en respectant les bonnes manières. Ce n'est tellement pas elle, chuchote-t-elle en rigolant.  

Soudain, elle sursaute lorsqu'un bruit sourd émane du ponton. Elle bondit du lit de Jack et accourt à la porte de la cale. Maud tente d'apercevoir la scène à travers les fins trous de la porte cassée, en vain. Elle se dirige alors vers la fenêtre qui donne également sur le ponton. Malgré la saleté présente sur les carreaux, elle a vu sur le gouvernail. Brusquement, elle étouffe un cri et recule instinctivement. Elle heurte une chaise et tombe à la renverse. Sa tête tape violemment le sol. Puis, le noir. 

    Jack, fière d'avoir tué tous les corsaires lors de l'embuscade se pavane auprès des membres du Santa Maria. La plus part se trouve encore sur le navire ennemi, comme Pablo et Ohanna. Ils n'ont donc pas pu être informé de ce que Maud a vu. Les cris de joies et les rires se mêlent aux gémissements de quelques corsaires en fin de vie. Les pirates, sans une once de respect, piétinent les corps qui jonchent pour se prendre dans les bras et s'embrasser. Même Pablo tente une accolade à Ohanna. Il dépose même un baiser sur son front encore transpirant. Gênée, elle n'ose même plus le regarder. Soudain, la petite tête brune d'Edward apparaît dans ses pensées. Mais où est-il donc passé ? Se demande la rousse. 

    Gareth, encore tout excitée de la victoire et complétement sous l'emprise de l'alcool, s'approche d'Ohanna. Il essaie tant bien que mal de prendre un air décontracté. Une fois à la hauteur de la rousse, il passe son bras sous ses genoux et son cou et la porte contre son torse. Interloquée, Ohanna ne comprends pas de suite ce qu'il se passe. Gareth crie de joie et le reste de l'équipage le suit. Pablo regarde la scène, mort de rire. Une fois son petit manège fini, le jeune homme repose la rousse à terre et s'agenouille devant elle. 

" - Ohanna, épouse moi à la prochaine escale, s'il te plaît, lui propose-t-il en sortant un petit coquillage creusé et rond de sa poche. Il attrape sa main mais Ohanna se dérobe. Elle ne peut s'empêcher de se radoucir en voyant la mine alcoolisée de Gareth. Elle lui intime de se relever. 

- Non Gareth, je ne peux pas. Je suis une femme prise, malheureusement, elle tapote gentiment sa main. Puis, elle s'approche de son oreille, dans un silence morbide, le reste de l'équipage ayant les sens en éveil. Tu en trouveras pleins des jolies filles à marier, demain, lorsqu'on fera escale.

Puis Ohanna se dégage de Gareth. Elle se retourne et fit mine de ne pas entendre les lamentations du reste de l'équipage et les cris de détresses du jeune anglais. Elle rejoint Pablo, qui ne peut se retenir de rire. Elle se cale à côté de lui, adossée à la rambarde. 

" - Si tu ouvres la bouche une seule fois Pablo, je te coupe la langue, c'est clair ? menace la rousse. Elle aperçoit du coin de l'œil qu'il hoche la tête, mais l'entend pouffer. Ohanna lui assène une tape sur l'épaule. Elle s'apprête à partir mais il attrape sa main et la retient. 

- Avoue, tu lui as dit non car tu attends que je te demande en mariage, c'est ça ?  lui lance l'espagnol, un sourire charmeur collé au visage." La rousse ne peut s'empêcher de frissonner à son contact. Après quelques secondes où elle essaie de cacher son sourire naissant, elle lui tourne le dos et s'en va chercher Edward. 

    Edward, toujours perché à côté du gouvernail du Santa Maria, ne verra pas Ohanna venir le chercher. Il n'entendra pas les cris d'horreurs de la rousse et du reste de l'équipage lorsqu'ils découvriront son corps sans vie. Il ne pourra plus jamais toucher le gouvernail. Observer les flots et cartographier les eaux. Edward n'entendra plus jamais le bruit des vagues avant de s'endormir avec son équipage.  Et surtout, il ne pourra plus observer pendant des heures Ohanna, sentir sa peau contre son corps nu, embrasser ses lèvres charnues. L'anglais ne pourra plus goûter au plaisir de sa chair. Il ne sentira pas les larmes d'Ohanna qui tombent par dizaine sur son visage alors qu'elle verra son corps inanimé. Edward n'a pas vu arriver le corsaire de derrière et n'a pas pu anticiper la balle qui est venue se loger dans son crâne. 

    Edward ne sera plus. 

Amour en eaux troublesWhere stories live. Discover now