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La salle est bondée lorsque nous descendons par la porte à l'arrière du bar. Personne n'a fait attention à nous alors que nous pénétrions dans la salle, avant de s'engouffrer par la porte close tout au fond, sur les indications du patron. Le plafond bas rend la pièce plus petite qu'elle ne l'est en réalité. Beaucoup de jeunes de Céréa se sont réunis pour s'amuser et oublier les tracas du quotidien pour une nuit. Ils se déhanchent au rythme d'une musique endiablée, jouée en direct par des musiciens plutôt talentueux, sur une piste de danse éclairée de mille feux par des globes luminescents aux diverses couleur vives, qui projettent leurs rayons sur un sol dallé argenté. Je reconnais quelques visages dans la foule, certains que j'ai connu à l'Unyverso ou ailleurs.

J'ignorais l'existence d'un tel endroit. Je pense que son ouverture est récente. Je ne vois pas comment j'aurais pu passer à côté, sinon, et comment Ayliae n'aurait pas pu s'empêcher de m'y emmener avant.

Ma cousine ne peut retenir son enthousiasme et me traîne par le bras près du comptoir, où sont servis des cocktails sans alcool. L'endroit étant réservé aux plus jeunes, les propriétaires ne prennent ainsi aucun risque. Une boisson rouge et verte dans un grand verre à pied cristallin est déposée devant mon nez. Ma cousine retient un rire devant ma mine surprise, engloutissant le sien d'un trait. Je m'assois sur un des tabourets, la laissant aller s'éclater sur la piste de danse. Ayliae est très douée pour déhancher sa magnifique queue de sirène aux écailles brillantes. Elle attire d'ailleurs à elle tous les regards des jeunes tritons, qui bavent devant sa beauté et sa façon de danser. Elle est plutôt douée, je dois l'admettre.

Tous ici savent pertinemment qui elle est. Mais ce soir, il n'y a pas de princesse héritière et de Capitaine de l'Oros. Nous sommes juste deux sirènes ayant envie de s'amuser et de profiter. Nos identités sont restées au palais. Bon, d'accord, je reste très sage, mais c'est pour pouvoir surveiller Ayliae du coin de l'œil, tout en sirotant mon cocktail. Il a d'ailleurs très bon goût, à la fois acidulé et sucré, pétillant en bouche. Je prends plaisir à déposer mes lèvres sur le verre et à laisser le liquide couler dans ma gorge et sur ma langue.

Je ne peux retenir une grimace et manquer de tout recracher, quand je vois un triton poser ses mains sur les hanches d'Ayliae et descendre un peu trop bas. Je ne bouge pas, parce que je ne veux pas faire honte à ma cousine. Elle n'a pas besoin de moi pour régler ce genre de petit souci. J'estime qu'elle est assez grande pour gérer ça toute seule. Elle l'envoie d'ailleurs balader, en lui intimant d'aller voir plus loin et de se trouver quelqu'un d'autre, qu'elle n'est pas là pour ça. Il repart déçu dans l'autre sens. Je ne peux empêcher un rire discret de s'échapper de ma gorge. Cela me détend un peu.

Alors que je me tourne à nouveau en direction du bar, où le serveur est en train d'essuyer des verres, deux mains se posent sur mes yeux. Mon cœur s'emballe d'un seul coup, me mettant sur le qui-vive. Je pose ma paume sur le fourreau de mon couteau, dissimulé sous ma veste. Je ne devrais peut-être pas réagir aussi brusquement, mais mon instinct de guerrière prend toujours le dessus. Je n'y peux rien, j'ai été formatée comme ça. Je le suis au plus profond de mon être et de mon âme.

— Iliana...

Cette voix grave et rauque apaise immédiatement mon angoisse. Je ne peux pas m'empêcher de sourire en pensant au triton, dont les mains chaudes descendent le long de mes épaules pour me serrer dans ses bras. Les cheveux noirs et brillants d'Asher sont doux contre mes lèvres, lorsque je dépose un baiser dessus, après m'être retournée. Je le serre contre moi, respirant son odeur musquée et son savon de corail vert.

Lorsqu'il s'écarte, déposant au passage un léger baiser sur ma joue, je le détaille des pieds à la tête. Le jeune triton porte une veste simple et noire, semblable à la mienne, ouverte sur son torse nu musclé, ainsi qu'une ceinture équipée d'un fourreau noir, d'où dépasse le pommeau doré de son épée. Le second membre de l'Oros ne peut sortir sans un moyen de protection. Ça ne m'étonne pas. Il se fiche de faire voir aux autres qu'il est armé et montre ainsi à ceux qui voudraient lui nuire qu'il est en mesure de faire face. Ses cheveux sont en désordre sur sa tête et ses yeux verts brillent dans l'eau sombre.

— Je ne savais pas que tu venais mon cœur, murmure Asher en passant un bras protecteur autour de mes épaules, s'asseyant sur le tabouret le plus proche.

D'habitude, lorsqu'il fait ça, je suis obligée de me dégager de son étreinte. Asher travaillant avec moi, on ne peut avoir de relation amoureuse. Mais je n'ai pas pu empêcher mon cœur de tomber sous le charme de ce beau triton. Nous avons donc une histoire secrète.

Ce soir, personne ne fera attention à nous. Tous seront occupés ailleurs et ne prêteront le moindre regard sur notre façon de nous comporter. Ils s'en fichent. La seule qui est véritablement au courant, c'est Ayliae. Un seul regard dans sa direction me suffit pour apercevoir le sourire espiègle qui fleurit sur ses lèvres, lorsqu'elle nous aperçoit ensemble. Ma cousine n'a jamais compris pourquoi je refusais catégoriquement de mêler Asher à nos histoires familiales et royales, ainsi que de le présenter officiellement à mon oncle et ma tante. Si elle savait comment réagirait sa chère maman, elle y réfléchirait à deux fois, je pense.

La loi m'interdit toute relation amoureuse avec les membres de l'Oros, afin que je puisse effectuer mon travail dans les meilleures conditions. Aucune attache ! C'est la règle. Et je dois m'y tenir, même si c'est pénible et inconfortable. Enfin, je fais semblant en public, parce qu'en privé, il est hors de question que je ne me prive d'amour.

— C'est ma princesse de cousine qui m'a traînée jusqu'ici, affirmé-je en pointant Ayliae du doigt, qui se trémousse sur la piste de danse endiablée, dont le visage rougi est désormais dissimulé derrière ses boucles rousses sorties de sa coiffure pourtant si parfaite. Si j'avais su que tu venais, je n'aurais peut-être pas autant rechigné à sortir de mon lit, murmuré-je en déposant un léger baiser sur sa joue piquante.

Mes doigts descendent lentement du haut de son visage, jusqu'à se poser sur son torse. Sa poitrine se soulève doucement, je sens son cœur battre sous ma main. Un éclatant sourire éclaire le visage d'Asher. Le jeune triton me prend par la main et m'entraîne un peu plus loin au fond de la salle, dans un coin plus sombre et romantique. Deux banquettes nous font face, d'un rouge très sensuel et doux, encadrées par deux lampes à Luces, dont les lueurs ont été tamisées. Je m'y assois, sur la nageoire d'Asher, qui me prend dans ses bras. Sa chaleur me fait immédiatement me sentir chez moi. Lorsque je dépose mes lèvres sur les siennes, je sais enfin que je ne regrette pas d'être sortie du palais ce soir.

La larme de LongéniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant