Chapitre 26 : Leo

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S'il y a bien un jour que Leo aimerait passer rapidement, c'est celui-ci. Malheureusement, chaque seconde paraît durer une éternité. Il puise dans des forces dont il ignorait l'existence pour enfiler son costume, passer quelques coups de fil pour s'assurer que tout est en place et accueillir les quelques invités à l'entrée de l'église. L'enterrement va se faire en petit comité, car Rose était la dernière membre de sa famille encore en vie, et la majorité de ses amis de longue date ne sont plus de ce monde. Leo a tout de même pris soin de convier ses derniers amis, ses voisins et ses amies du club de lecture. À cela se rajoutent Elena, Ethan, les parents de Leo et David, tous venus pour le soutenir en ce jour morose.

Les condoléances s'enchaînent pendant de longues minutes, si bien que Leo finit par ne plus les entendre. Les bruits autour de lui deviennent de lointains échos. C'est sûrement le moyen que son cerveau a choisi pour l'aider à tenir le coup. Il sent une main se poser sur son épaule. Il n'a pas besoin de se retourner pour savoir qu'elle appartient à Ethan.

— Le prêtre va bientôt commencer, dit-il. On devrait aller s'asseoir.

Leo suit cette recommandation sans avoir la force de dire quoi que ce soit. Ils remontent l'allée de l'église jusqu'au premier banc, là où ses proches sont déjà tous installés. Il veut éviter de regarder le cercueil et la grande photo encadrée qui l'accompagne, mais c'est perdu d'avance. Il est impossible de l'éviter. Il espère sincèrement qu'il pourra résister à l'envie de pleurer qui l'attend en embuscade. Aujourd'hui, il veut rester fort. Pour Rose.

Comme prévu le prêtre fait son entrée, vêtu de son habit officiel, et vient se positionner derrière son pupitre. Les derniers murmures de la petite assemblée s'éteignent lorsqu'il tapote légèrement sur son micro.

— Si nous sommes réunis aujourd'hui dans cette église, commence-t-il d'un ton solennel, c'est pour rendre un dernier hommage à Rose Gardner et pour témoigner notre sympathie à ses proches, à qui elle va énormément manquer. Nous sommes également là pour recevoir un message de paix et d'espérance...

Leo n'écoute pas ce qui vient ensuite, sachant pertinemment qu'il ne s'agira que d'un charabia religieux qui ne lui apportera pas le moindre réconfort. La main d'Ethan se pose sur la sienne, chaude et rassurante, et l'espace d'un instant, Leo se dit qu'il pourra tout affronter grâce à lui. Mais cet espoir furtif est vite remplacé par la réalité de son chagrin.

Le prêtre finit son discours par un "Amen" qui est répété en chœur par tout le monde. Cela signifie que le moment tant redouté est arrivé. Leo n'est vraiment pas sûr d'y arriver.

— Et maintenant, reprend le prêtre, je vais laisser la parole à Leo Marks. Il était comme un petit-fils pour la défunte et il souhaitait donc lui dire quelques mots d'adieu.

Il conclut en faisant signe à Leo de s'approcher. Tous les regards se dirigent vers lui, avant même qu'il ne se soit levé du banc. Ethan serre légèrement sa main, puis le laisse partir. Leo avance jusqu'au pupitre, incertain de la capacité de ses jambes à ne pas flancher. Il a passé des jours entiers à écrire et réécrire cet éloge funèbre, mais le résultat ne semble toujours pas suffisant pour rendre hommage à la femme incroyable qu'était Rose. Aucun mot ne pourrait prétendre à cet exploit.

Leo déplie son morceau de papier avant de le placer devant lui. Il ose à peine lever les yeux car il sait que tout le monde est pendu à ses lèvres. Il s'éclaircit la gorge, mais sa bouche reste toujours aussi sèche. Son cœur bat à toute allure, mais il ne peut plus reculer.

— Bonjour à tous, dit-il, surpris par l'écho de sa propre voix. J'aimerais tout d'abord remercier chacun d'entre vous d'être venu. Rose aurait été ravie de voir toutes les personnes à qui elle tenait dans une seule pièce. Elle aurait sûrement couru dans tous les sens pour s'assurer que tout le monde passait un bon moment, que personne n'était laissé de côté. On le sait tous : elle se préoccupait toujours du bien-être des autres, parfois même avant de s'inquiéter du sien. Mais c'est ce qui faisait d'elle quelqu'un d'exceptionnel...

La gorge de Leo se resserre soudainement. Il pensait qu'en se concentrant sur les mots imprimés à l'encre noire, il parviendrait à finir son discours. Il s'est trompé.

— C'est... tente-t-il malgré la tristesse menaçante. J'ai...

Après ça, plus aucun mot ne veut sortir. Il n'y a rien à faire. Leo sent un poids terrible sur sa poitrine. Il n'ose pas affronter le regard insistant de l'assemblée. Que vont-ils penser de lui ? Il sent des larmes incontrôlables dévaler ses joues. Pas maintenant. Surtout pas maintenant.

Leo est désemparé. Il ne sait plus du tout quoi faire. Doit-il attendre d'être en état de continuer ? Doit-il arrêter ce désastre avant de s'humilier davantage ? Alors qu'il tente de prendre une décision malgré les pulsations dans ses oreilles, Ethan et Elena entrent dans son champ de vision. Sa cousine s'approche pour le prendre dans ses bras, serrant aussi fort que possible pour apaiser son chagrin. Les larmes continuent de couler, encore et encore.

Pendant ce temps, Ethan attrape la feuille de papier sur laquelle le discours a été imprimé, puis il se place derrière le pupitre. Leo le voit chercher du regard l'endroit où il s'est arrêté, quelques instants auparavant. Ethan est encore venu le sauver.

— Rose était une femme pleine de vie, récite-t-il dans le micro. Elle était constamment de bonne humeur et trouvait toujours un côté positif à chaque situation. Elle a affronté la maladie dès son plus jeune âge, le deuil de son mari, de sa fille et d'amis proches, et tout ça en gardant la tête haute. Je pense sincèrement qu'elle nous a tous appris à être de meilleures personnes, à essayer de comprendre les difficultés qu'affronte notre prochain avant de le juger. Comme elle le disait souvent : "Le reste n'est que du bruit". Il n'y a pas de place pour la rancune et pour la haine. Elle était un véritable rayon de soleil qui venait vous rappeler que le ciel ne resterait pas gris pour toujours. Merci pour tout, Rose. Tu vas énormément nous manquer.

Une fois la lecture terminée, Ethan se tourne vers Leo, un léger sourire aux lèvres. Leo réalise que sa tristesse s'est quelque peu apaisée grâce à cette intervention. Il hoche la tête en direction d'Elena pour lui faire comprendre qu'il va mieux. Ils retournent tous les trois s'asseoir, tandis que le prêtre reprend son poste pour conclure la cérémonie.

Leo saisit un mouchoir en papier tendu par sa mère et il essuie les dernières larmes de son visage. Il n'a pas réussi à rester fort comme il l'espérait, mais ça n'a pas d'importance. Il est entouré de personnes prêtes à le rattraper en cas de chute.

D'un geste impulsif, il glisse sa main vers celle de son colocataire. Il n'a pas le temps d'imaginer le pire des scénarios, car Ethan entrelace leurs dix doigts dans un mouvement qui paraît facile et naturel.

— Merci de m'avoir sauvé, chuchote Leo dans son oreille.

— Tu peux compter sur moi, répond simplement Ethan. Toujours.

Et tous les démons sont iciWhere stories live. Discover now