Ce que femme veut - Part 35 - Bonheur naissant

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Aucun meuble n'a bougé. Tout est intact. Pourquoi il en serait autrement ? C'est moi qui n'aie pas la tête en place.
On a laissé la fenêtre du salon entrouverte hier soir. Je sens la brise de vent frais et moins pollué frôler mes jambes nues et mes cheveux ébouriffés. Il est 4 heures du matin, la ville est encore endormie, personne au balcon d'en face. D'un pas léger je me dirige vers la cuisine, son t-shirt à l'effigie de Koby Bryant sur le corps, à la recherche d'une bouteille d'eau. Je suis un cliché ambulant. Sourire aux lèvres je jette un œil sur le comptoir ; les ingrédients non plus n'ont pas bougé. Comme figés par ce moment suspendu dans le temps. Ce moment, parlons-en.
Je l'ai imaginé plusieurs fois. J'en ai eu honte parfois. Mais tout ce qu'on imagine est toujours au-dessus ou en dessous de la réalité. Ces objets disposés ci et là me rappellent la rapidité avec laquelle tout a basculé. Je ne m'y attendais pas. Ou plus. Pour en arriver à ce moment, combien d'embûches ? De questionnements ? De peurs baîllonnées ? De « est-ce que je serai à la hauteur ? » enrobés de nudité et de pudeur. Les premières fois sont à la fois précieuses et cruelles car elles nous cueillent dans un moment de vulnérabilité qui ne reviendra plus jamais. Erdem a su me rassurer et me complimenter. Il a compris qu'aux gestes il fallait ajouter les mots et les bons, ceux qui réconfortent et donnent confiance. Il est journaliste, il a la tchatche.
Aucune fioriture pour soutenir l'intensité de l'échange, ni draps de soie, ni musique d'ambiance, ni lumière tamisée.
Spontanéité et simplicité étaient les mots d'ordre. Et ça change.
Ma nuit de noces, orchestrée, s'était écrite à la cire de bougies, la voix de Brian McNight en guise de prélude, pétales de rose disposés sur le sol, dans une suite d'un grand hôtel parisien. Tout ce décor ne m'avait pas empêché de grimacer de douleur et de me sentir terriblement seule, une fois mon souffle repris.
Ce qui compte c'est de vivre quelque chose de vrai et de fort.
Le décor n'est qu'un détail. Karima me l'a souvent répété, elle avait raison. Elle avait également évoqué la taille. Mais ça c'est l'obsession de Karima.
Je m'empare d'une bouteille d'eau et bois à grosse gorgée.
Quand on n'est pas sportive, un rien nous déshydrate.
Sur mon nuage, j'entends les pieds d'Erdem se diriger vers la cuisine. En boxer, il réclame quelque chose à boire. Je lui tends le reste de la bouteille d'eau fraiche et le regarde amoureusement la porter à sa bouche. Je dois sûrement faire très pitié à cet instant précis. Je ne fais pas mentir l'idée qu'une femme s'enfonce un peu plus dans ses sentiments une fois que la dopamine envahit son cerveau.
Le voir là et nous savoir si proches, si attachés, ça me remplit de joie. Ça faisait des années que je n'avais pas ressenti ça et j'en viens à me dire que j'aurais dû céder il y a bien longtemps. Je me suis privée de moments de pur kif juste parce que je pensais les hommes tous aussi crades que mon ex-mari.
On grignote des mûres en se plongeant dans les yeux l'un de l'autre comme deux cas soc' en état de choc. Après l'avoir terminé Erdem remplit à nouveau la bouteille d'eau du robinet puis me fait signe de le rejoindre dans la chambre.
- J'arrive, je réponds en rougissant.
Je m'apprête à raconter ce qui vient de se passer à ma meilleure amie quand je découvre un nouveau texto. Il est de Yanis dénommé EX dans mon répertoire :
« Salam ou Bonsoir à tous, c'est avec une immense joie qu'on tenait à vous annoncer la naissance du petit Ismaël, 3, 5kgs, né le 27 mars 2020 à 18h45. Quel beau cadeau du Ciel en cette dure période de confinement. Les parents se portent bien ! A bientôt et prenez soin de vous. Yanis et Malika. »
J'ai relu le texto, cinq fois, le coeur battant. Pourquoi a-t-il fait ça ? Je lui ai donné mon numéro uniquement pour l'affaire de la banque. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'englobe dans sa liste de faire-part de naissance! Chaque mot me replonge quelques mois en arrière, la preuve de sa tromperie, de son non-amour est née et ce connard me l'annonce. C'est un coup bas.
Il n'a peut-être pas fait exprès mais ça me casse le moral et réveille mon anxiété. Mon nuage s'est soudainement transformé en morceau de trottoir humide dans une rue crade. Je me refais le film et ne peux pas m'empêcher de me dire que j'aurais dû être la mère de son premier enfant et pas elle.
Haineuse, j'efface prestement le message et balance mon téléphone sur le canapé. Ce qu'on ne voit pas ou ne lit pas, n'existe pas non ? C'est bien le leitmotiv des jeunes de notre génération ?
Lorsque je rejoins Erdem dans le lit, il me demande si je vais bien.
- T'as l'air bizarre, il lance en fronçant les sourcils.
- Non ça va.
Pour lui prouver la sincérité de mes paroles, je l'embrasse avec passion mais cette naissance vient de tout obscurcir, de mon humeur à mon bonheur, lui aussi, naissant ... Comme si je n'avais pas le droit de refaire ma vie, sans que Yanis vienne tout niquer à chaque fois.

Ce que femme veutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant