Chapitre 2: Kalanchoë

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Nous sommes le 02/06/2020. Je me suis levée ce matin en me rappelant que j'avais à peine entamé mon précieux journal intime. Il ne faut pas m'en vouloir, l'université ça demande du travail, encore plus en période d'examen. Ironique pas vrai ? L'endroit qui est supposé vous pousser vers vos rêves, vous en prive indirectement. Parce qu'avec tout ça, je n'ai pas eu une minute pour moi et mes hobbies. Il n'y avait que le stress qui comptait. L'horrible stress, peut être un des pires sentiments au monde. Le genre qui vous donne l'impression d'expérimenter la mort 10 fois dans la même minute.

La chaîne des infos crache des mots dans le vent, je ne me concentre pas dessus, ce sont des paroles élaborées, toujours. Ils se prennent pour des intellectuels.

Je sors un peu, ma maison est plongée dans le silence des siestes de l'après-midi des débuts d'été. Quand il fait trop chaud pour que mes parents aient envie de bouger.

Et je m'engage à peine sur le trottoir à la sortie du sentier de ma maison, que les ennuis commencent. Un ballon dur comme le globe terrestre de la chambre de Charlie me percute. Je grimace et émet un juron avant de relever la tête vers l'auteur du crime.

Jeremias. J'aurai dû m'en douter. Capitaine de l'équipe de foot de je ne sais plus quel petit club insipide de Apple Hills.

« Fais chier ! J'aurai dû viser la tête ! »

Ça le fait rire en plus.

« Très drôle gros malin. Si je gisais sur le sol, tu te serais pissé dessus. Oooh... Regarde... Le mot responsabilité vient de passer juste au dessus de ta tête ! »

Il rit du nez. C'est clairement un affront.

Il me lance un regard plein de jugement ou d'incompréhension, je ne sais pas trop. Peut-être qu'il n'a pas compris ma phrase. Je tourne les talons et je trace ma route en ignorant son regard toujours sur moi.

Je cesse enfin de retenir ma respiration lorsque je m'éloigne suffisamment du blondinet.

Je me souviens encore de ma rencontre avec Jeremias. C'était le jour de mon arrivée à Apple Hills. Il faisait vraiment beau et je m'étais aventurée à la liziere de la forêt. Je n'avais pas voulu aller plus loin, ayant trop peur de me perdre. Je crois que j'avais oublié la définition complète de nature ce jour-là parce que je me suis fait envahir par les araignées. Il y en avait plein à mes pieds et j'ai la phobie des insectes. C'était avant que je commence à essayer de contrôler ma peur alors sans que mon corps n'ait la gentillesse de prévenir mon esprit, j'ai fait une crise de panique. J'ai pleuré et Jeremias est sorti de la forêt, couvert de saleté. Il m'a dit qu'il avait été alerté par mes pleurs. Il avait l'air vraiment concerné par mon état. (Et il était plutôt beau garçon). Pendant 5 minutes, j'ai eu l'audace d'avoir un faible pour lui mais après... Il s'est un peu moqué de moi en voyant les aracnides par terre et a répliqué d'un air un peu arrogant: « Alors c'est simplement ça ? Je pensais que c'était grave. »

A l'instant où il a osé prononcé ses mots, j'ai su que Jeremias figurerait sur ma liste des gens les plus insupportables que j'ai rencontré.

Malheureusement, il fallait que sa famille habite aussi près de la mienne et qu'elle s'entende avec la mienne. Le hasard fait des choses étranges et parfois extrêmement stupide, il faut bien le dire.

Je me suis donc rendue chez Teddy. C'était le seul de mes amis qui était encore à Apple Hills pendant le mois de juin et il m'avait demandé de venir écouter une de ses créations musicales. Cela nous arrive de façon plutôt récurrente à Teddy et moi, de nous retrouver dans le garage de sa maison pour pouvoir juger de son travail. Je dois dire que les musiques qu'il façonne m'ont toujours beaucoup inspirée. Il est très talentueux et j'espère qu'il ira loin dans ses ambitions. Comme à notre habitude, nous nous installons sur le vieux sofa qui grince car les lattes sont rongées par le temps. Il lance alors sa nouvelle fierté et je mobilise toute mon attention pour décrypter chaque note de la mélodie. C'est transportant.

Je suis de ces personnes qui pensent qu'être avec quelqu'un qu'on aime dans une ambiance cinématographique douce est un cadre d'apaisement pour le cœur. On se sent vivant, aimé et on regarde son ami sourire en se disant qu'on a de la chance de l'avoir. Au moment où il appuie sur la barre espace de son ordinateur, nous entendons un bruit qui nous me stoppe dans ma tentative de commentaire.

Teddy se lève, suspicieux et ouvre la porte du garage pour découvrir avec stupéfaction que Jeremias se trouve derrière.

« Mais qu'est-ce que tu fiches ici toi ? »

Aussi interloquée que mon ami d'enfance, je me lève et m'approche furieuse.

« Tu m'as suivie ? »

Pour la première fois, je le sens troublé.

« Je voulais juste m'excuser pour le ballon. Et... Hum.. Il est lourd ton son mec, bravo.»

Teddy et moi n'avons pas le temps de répondre qu'il enfourche à nouveau son vélo et repart dans le sens contraire de la ruelle. Mon ami se tourne vers moi en haussant un sourcil.

« C'est quoi cette histoire ? »

J'en sais rien Teddy, j'en sais rien.


Je passe le reste de la soirée avec l'humour personnifié qu'est Teddy et après un bon moment à rire jusqu'à ne plus avoir de poumons, je m'aperçois qu'il fait pratiquement nuit. Je décide donc de partir tout naturellement.

Les rues commencent à s'assombrir et je ne distingue bientôt plus que l'obscurité. À Apple Hills c'est un gros problème la nuit: il y a un manque clair de lampadaires. J'accélère le pas, ne me sentant pas très rassurée tout à coup. Ma vision se trouble et un bourdonnement sourd empli mes oreilles lorsque je crois entendre des pas derrière moi. Je voudrais me mettre à courir mais je ne suis pas certaine que cela sera suffisant. Il n'y a personne d'autre dans les rues si ce n'est moi et le potentiel inconnu derrière moi. Je sens alors une main se saisir de mon poignet et je hurle.

« Lottie ! Lottie chht ! Calme-toi ce n'est que moi ! »

Je me calme en découvrant qu'il s'agit une fois de plus de Jeremias.

« Mais c'est une manie chez toi ?! Tu m'as fait une de ces peurs ! Ça t'arrives de ne pas agir comme un mec super louche ? » j'hausse le ton crescendo.

« Je te jure que je ne te suivais pas ! Je rentrais chez moi, moi aussi... Je t'ai vue, je t'ai appelée même mais pour une raison que je n'explique pas, tu as continué de marcher sans te retourner. Enfin... Maintenant que j'y pense... C'était sûrement la peur... »

« Oui Jeremias bravo, tu sais que la peur fait crier, pleurer, réagir de manière folle sans contrôle. Tu grandis, je te félicite. »

« Tu pourrais m'expliquer ce que tu me reproches exactement ? »

Je me tais et me contente de le regarder. Je ne suis pas certaine qu'il mérite des explications. J'envisage même de me dégager de sa poigne et de partir sans un mot.

« C'est cette histoire d'araignées pas vrai ?... Écoutes, je ne me moquais pas... Je sais, ça sonnait vraiment comme une constatation condescendante mais en fait c'était du soulagement. Je pensais que tu pleurais pour quelque chose de vraiment très grave. Je n'ai pas essayé de minimiser ta peur comme si elle n'avait aucune importance, crois-moi !... Moi aussi, faut croire que j'ai un problème pour gérer mes émotions... »


Je n'arrive pas à croire que j'ai pardonné à cet imbécile de Jeremias et que je le laisse me raccompagner chez moi. Ma mère va encore en fait tout un foin alors qu'honnetement, il ne se passe rien du tout. Mais la conversation m'occupe et elle n'est pas désagréable. Elle me fait oublier le côté oppressant des nuits à Apple Hills.

« T'as pas à complexer sur ton ventre, typiquement c'est genre... Là que sont tes organes ? Il leur faut bien un endroit ! »

« Ça c'est clair mais... Les gens trouvent pas ça très... Beau disons. »

« Tu les emmerdes les gens, t'es très belle. Et puis... Même si ça fait toujours plaisir, c'est pas le seul compliment que tu mérites. Parfois je me dis que... Ça fait bien plus chaud au cœur d'entendre quelqu'un dire qu'il est fier de nous, qu'il nous trouve exceptionnel... »

Tournesol & Rose de LuneWhere stories live. Discover now