prologue

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Dans l'obscurité profonde de ce mois de décembre, la jeune enfant s'était soigneusement enroulée dans ses couvertures, ornées de motifs de princesse rose et de délicates fleurs sur les oreillers. Glissant sa main sous ces derniers, elle saisit délicatement sa console de jeu vidéo, impatiente de commencer une nouvelle partie.
    Le calme remplissait la pièce, et l'atmosphère commençait à s'imprégner de la magie de Noël. Le son d'une chouette à l'extérieur était la seule source de bruit.
Soudain, une voix maternelle retentit à la porte, brisant le silence de la chambre.
— Hé là, petite maligne, répliqua sa mère d'un ton ferme, prête à confisquer la console. Il est tard, il est temps de te coucher.
La petite fille croisa ses bras avec un air dramatique et boudeur, manifestant son désaccord. Ses longs cheveux bouclés tombaient sur ses yeux.
— J'ai pas envie de me coucher, se plaignit-elle, la tristesse emprisonnant sa voix. J'ai trop peur.
D'une voix douce, sa mère s'installa près d'elle, essayant de la réconforter.
— Peur de quoi, ma chérie ? demanda-t-elle, soulevant le menton de sa fille qui évitait de montrer l'émotion qui l'envahissait. Parmi toutes les personnes que je connais, tu es la plus courageuse. Le simple fait de dormir ne peut pas te faire de mal. C'est pas vrai, ma petite fille adorée ?
Sa mère se permit un geste comique en tapotant le bout du nez d'Alisa, provoquant un éclat de rire de la part de la petite, qui tenta de repousser la main de sa mère.
— J'ai plus cinq ans, tu sais ? Et tu dis ça parce que tu es ma maman.
— Peut-être, répondit-elle en replaçant tendrement les mèches de cheveux châtains d'Alisa derrière ses oreilles. Mais beaucoup d'autres le pensent aussi. Tu te souviens quand je t'ai emmené au travail à la clinique ? Tu te souviens d'avoir eu peur quand l'aigle a déployé ses ailes dans notre direction ?
Sa mère travaillait dans un refuge pour animaux sauvages. Elle emmenait souvent sa fille à son travail, qui adorait la faune et la flore de sa région.
Alisa plissa les yeux, essayant de se remémorer l'anecdote, puis éclata de rire en se souvenant de l'épisode.
— Non, je t'ai poussé sur le côté et après...
Elle leva les yeux au ciel.
— Je ne me souviens plus très bien.
Le sourire de sa mère se fit plus doux, et elle déposa un baiser sur le front d'Alisa.
— Il est temps de dormir, murmura-t-elle en se levant pour partir.
Lorsqu'elle quitta la pièce, une explosion secoua la maison. La petite, par réflexe, se dissimula sous ses couvertures. Il en suivit des alarmes des voitures à l'extérieur, des aboiements hystériques des chiens de la rue paisible de la petite ville du Nord. Mais ce qui leur fit grincer des dents furent les cris effrayés des enfants qui peuplaient ce quartier.
— Maman ? s'écria Alisa, agrippant son doudou avec force, la terreur envahissant ses yeux.
Son père, Gianni, accourut rapidement dans les escaliers, l'air affolé, mais son expression se durcit dès qu'il passa la porte de la chambre de sa fille.
— Maria, qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il, tandis que Maria pointait vers la fenêtre, se cachant derrière les rideaux.
— Oh mon Dieu, s'écria sa femme, la main plaquée sur sa bouche.
— Maman, papa, qu'est-ce qui se passe dehors ? implora Alisa en se levant de son lit, se joignant à eux.
Les cris dehors s'intensifièrent lorsque la maison trembla de nouveau, tout comme les voitures et les demeures aux alentours. Ils habitaient dans un petit quartier à l'autre bout de la ville, là où les maisons voisines étaient lointaines, et les plaines et les arbres étaient leur décor quotidien.
— MAMAN ! hurla la petite fille, se précipitant vers sa mère.
Maria la souleva et Alisa n'attendit pas un instant avant de cacher son visage dans sa nuque. Maria et Gianni se fixèrent terrorisés, mais ils se doutaient bien que ce jour allait arriver tôt ou tard, seulement pas dans ces circonstances aussi soudaines.
— Que fait-on, maintenant ? s'impatienta Maria en tenant fermement sa fille qui s'accrochait à ses cheveux.
Les détonations extérieures s'intensifièrent, tandis que Gianni rassemblait quelques affaires d'Alisa pour les fourrer dans un sac.
— Il faut qu'on parte, tout de suite. Va chercher le sac, tu sais où il est ?
Maria hocha la tête de façon presque militaire et accourut au rez-de-chaussée avec la petite dans ses bras pour aller chercher le sac de survie pour ce genre de situation, qu'ils avaient préparé quelques mois à l'avance. Quand elle dégota enfin le sac, Gianni la rejoignit, hors d'haleine.
— Par l'arrière, fit-il avec un signe de tête.
La famille se précipita vers la porte arrière, qui donnait vue sur d'immenses collines en contrebas, espérant atteindre leur voiture. Cependant, ils furent stoppés par d'énormes flammes qui bloquaient leur chemin. Leurs voisins couraient vers la forêt voisine, tandis que des hommes en tenue sombre, arborant un étrange symbole rouge sur la poitrine, tiraient sur tout ce qui bougeait. Une nouvelle secousse secoua la région, faisant tomber la famille au sol, mais ils se relevèrent rapidement pour rejoindre la forêt à leur tour.
Seules les mains chaudes de ses parents la réconfortaient dans ce froid hivernal de chaos. Des larmes de peur coulaient sur les joues de la petite fille aux yeux verts mélangés à un bleu océan. Ils se trouvaient au beau milieu de l'attaque désormais, là où elle avait pris le plus d'âmes dans ces filets, car elle se déplaçait rapidement. Aucune issue était à leur portée. S'ils continuaient vers le centre de la ville, ils étaient encerclés. La forêt, quant à elle, était maintenant barricadée par ses hommes aux tenues terrifiantes. Leurs voisins étaient au sol. Ils ne devaient pas survivre, c'était une tâche impossible dans ce contexte atroce. Les hommes, les femmes et même les enfants étaient décimés un à un par un pouvoir qui était à présent inévitable. Et pourtant, ce n'était que le début.    
    La petite fille agrippait les mains de sa mère. Son père, qui était en panique, décida de porter brusquement la petite en la maintenant serrée près de lui. Elle scrutait dans le dos de son père, qui les hommes armés d'une tenue militaire noire. Leurs bottes épaisses étaient colorées de la même couleur que la tenue, ainsi qu'une veste avec le symbole énorme gravé dans le dos : un lion aux ailes de dragon.
Comme le drapeau du pays. Un rouge sanglant et cet animal hybride en or.
La petite avait l'impression qu'ils venaient spécialement pour elle. Elle arqua un sourcil quand un homme s'arrêta de tirer pour la fixer. Son visage était sombre et il arborait des yeux féroces. D'un geste de la main, il indiqua la fuite de la famille, ce qui terrifia la fillette qui blottit sa tête dans l'épaule de son père. Mais ils s'en prenaient à tous les habitants du quartier. Et petit à petit, la ville de Saint Hyde était décimée.
    Tout était en ruine, des hommes armés sortaient de tous les côtés, comme s'ils attendaient cette embuscade depuis longtemps. Le sol commençait à se remplir de cadavres d'habitants qui tentaient de s'échapper, en vain. La famille décida de se cacher derrière un tas de voitures en ruine, s'efforçant de rester immobile dans ce champ de mine qu'ils appelaient autrefois leur quartier.
    Depuis que la guerre avait commencé, il y avait de ça vingt ans, ses parents n'avaient rien vu de tel. Pour la petite, elle n'avait entendu que des histoires à l'école sur leur grande nation et la guerre qui s'en était ensuivi. À cette époque de l'année, elle aurait préféré être emmitouflée dans le canapé du salon, regardant un film de Noël en buvant une énorme tasse de chocolat chaud. Simplement, ils voyaient la situation autrement depuis que leur maison avait explosé sous leurs yeux.
Tout à coup, les bruits étouffants cessèrent abruptement. Après quelques minutes d'appréhension, ils sortirent discrètement de leur cachette, rassurés, mais tout de même méfiants. Gianni contempla sa fille, qui se retourna en faisant bouger ses boucles brunes, et lui fit un sourire qui se voulait sécurisant. Maria l'enlaça en s'agenouillant sur le sol et l'apaisa d'une voix douce :
— Je te l'avais dit que tu étais forte, mais on doit se dépêcher de partir.
Alisa acquiesça d'un visage tremblant, sa mère la serra fort contre elle, les yeux plissés. Ses mains étaient moites, et sa mâchoire lui faisait mal à force de serrer les dents.
Puis un autre bruit retentit.
La petite fille reconnut ce bruit. C'était celui d'une balle.
Sa mère la fixa en haussant les sourcils, un hoquet de stupeur sortant de sa bouche. Elle baissa les yeux sur ses mains et tomba sur le sol encore labouré par les missiles, une tache de sang s'agrandissant de plus en plus sur le bas de son pull. Le père, en état de choc, n'eut pas le temps de s'approcher de sa femme qu'il se prit une balle, puis deux en pleine poitrine.
    La petite fille se mit à hurler tellement la douleur atroce de cette scène était grande. Tout son corps était glacé et elle supplia ses parents de se réveiller, les larmes coulant sur ses joues potelées, en vain. Le sang sur ses mains était celui des personnes qui l'avaient protégé et les seuls qu'elles n'avaient jamais aimés depuis huit ans étaient morts, agonisant sur le sol comme tous les autres. Elle s'assit près d'eux, lentement, les regarda pendant un instant, puis détourna le regard. C'était insupportable de les voir ainsi. De voir leur corps sans vie gisait dans le sang. Pourquoi était-elle encore en vie ? Ça n'avait pas de sens.
Elle devait s'enfuir dans la forêt comme tous les autres, mais le sentiment de devoir les laisser là la figeait sur place.
Un calme pesant, en même temps apaisant et effrayant, se fit ressentir. Elle se sentait comme la seule personne qui restait sur cette terre.
    Elle ne savait pas combien de temps, elle était restée là, à pleurer au-dessus de leur corps sans vie, mais assez longtemps pour qu'une main réconfortante se pose sur son épaule frêle.
Prise de peur, elle sursauta dans un bon. En se retournant, elle vit cependant une très jolie femme, la quarantaine, qui portait des vêtements pas très appropriés en vue de la situation. Sa tenue était trop parfaite. La dame sourit à la fille, s'accroupissant devant elle, sans se soucier que sa jupe plissée était trop courte et que ses genoux touchaient le sol.
— Bonjour ma chérie, je m'appelle Katherin, se présenta-t-elle avec une douceur sans égale. Viens avec moi, ma pauvre enfant, je vais te mettre en sécurité. Tu sais, tes parents sont partis dans un autre monde, sûrement moins cruel que le nôtre.
Après un regard furtif à l'homme et à la femme situés à côté de la petite, elle lui tendit la main.
La jeune fille, encore terrifiée par ce qui venait de se produire, se demandait si ce n'était pas plus judicieux de courir avec les autres, comme ce qui était prévu. Mais comment une petite fille pourrait bien survivre toute seule dans la nature, menacée par tout ce qui l'entourait ?
D'une main tremblante, elle lui prit la main sans aucune hésitation pour qu'on la sorte de cet enfer.
Devant elle, elle aperçut un large bus militaire qui arborait un symbole différent des personnes qui avaient tué ses parents.
En blanc se dessinait une balance agrémentée d'une épée au milieu. Avec de nombreux hommes en combinaison blanche autour, Katherin lui posa une question.
— Comment tu t'appelles, ma chérie ? demanda-t-elle avec tendresse.
— Je m'appelle Alisa madame, répondit-elle d'une voix faible, Alisa Karas.

THE ORPHANSWhere stories live. Discover now