Mémoires de 44

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Merci à ToscaPadawanCafe de m'avoir donné accès à son drive contenant des infos sur la seconde Guerre Mondiale afin que je puisse écrire cette nouvelle (ma préférée du calendrier). Je recommande d'ailleurs vivement son roman 1944, Résistance aux amateurs de romans historiques... et même aux autres, d'ailleurs x). 

En 1944, il y a maintenant trente ans, nous avons détruit un poste d'émission radio appartenant alors aux Allemands. Une trentaine de résistants que notre chef de file était durement parvenu à réunir dans le maquis contre une petite base de propagande nazie, était-ce équitable ? Sans doute avions-nous — et de loin — l'avantage ; il ne s'agissait après tout que d'un centre de communication dont les employés n'étaient, pour la plupart, que des enrôlés de force.

Durant cet attentat, bien des hommes sont morts et certains ont survécu, des résistants. Cette attaque ne peut porter d'autre nom que celui de massacre. Nous sommes arrivés de la forêt, armés jusqu'aux dents, et avons tout démoli sur notre passage. Le but initial de notre mission était de couper les fils d'une source de propagande allemande et résultat, au lieu de détruire une base, nous avons anéanti des vies. Qu'est-ce donc qui pouvait encore nous différencier de ceux que nous haïssions ? Les nazis tuaient Juifs, homosexuels et Tziganes, des personnes qui ne pouvaient rien à leur condition, tandis que nous assassinions des soldats dont le seul tort avait été de naître dans leur pays, une douzaine d'années avant que le Führer n'arrive au pouvoir. En quoi étaient-ils responsables des maux qui leur étaient attribués ?

Alors ainsi, parce que nous agissions par amour de la France et de la liberté, par dégoût de l'infamie qui se déroulait sous nos yeux impuissants, nous avions le droit de prendre la vie d'innocents qui ne faisaient qu'obéir aux ordres qu'on leur donnait, canon sur la tempe, sans réelle nécessité qui plus est ? Car oui, nous aurions pu nous contenter de brûler l'installation, nous emparer de matériel et faire prisonniers les soldats.

Certains vous diront que, sur le champ de bataille, la peur tord les entrailles et que le fait de tuer n'est que la conséquence d'un instinct de survie animal. D'autres soutiendront qu'à l'époque, tirer sur l'ennemi les révulsait mais qu'ils n'avaient pas le choix, qu'ils le faisaient pour la Résistance. Je suis bien incapable de juger de la véracité de leurs propos mais je me refuse à filtrer les miens.

Dans le feu de l'action et des fusils, je n'étais pas emporté par la peur ou la ferveur, je n'étais pas dans l'état d'esprit de celui qui sait que pour lui, c'est tuer ou être tué. Je n'étais pas non plus sous l'emprise d'une réelle peur de mourir, pas du moins suffisamment pour que mes choix en soient influencés. Qu'est-ce donc après tout que la vie d'un citoyen si on la compare à celle de son pays ? Néanmoins, ce n'était pas l'amour de la France qui me donnait des ailes, ce n'était pas mon sens de la justice. Si j'ai tué, si j'ai toujours refusé de quitter le front quand j'étais blessé, c'était uniquement grâce à la haine, la haine que je portais aux boches.

Tous, sans distinction d'âge, de sexe ou d'opinion, je les haïssais pour le chef qu'ils avaient lentement porté au pouvoir. Nazi ou citoyen honnête, chef ou subordonné, antisémite ou défenseur des droits humains, je ne voyais pas de différence et n'y réfléchissais d'ailleurs pas.

À la nuit tombée, on nous avait distribué à chacun un couteau, un petit pistolet et pour certains, des fusils d'assaut et des pistolets-mitrailleurs MP40, un modèle allemand dont le successeur de Rex avait réussi à subtiliser tout un lot, réparti entre les quelques réseaux stables de la Résistance Intérieure. Grâce à cela, nous espérions être à la hauteur de l'ennemi sur le plan de l'armement, en plus d'avoir l'avantage du nombre. Je crois que nous n'étions en fait qu'une bande de fous : seuls quelques-uns de nos hommes tremblaient avant de passer à l'action.

Ceux qui avaient peur avaient raison, mais je ne m'en suis rendu compte qu'une fois libéré de mon aveuglement ; moi, j'avais seulement hâte d'être enfin utile. La première ligne des combattants a enfoncé la porte du poste d'émission radio au moment où les premières balles ont commencé à siffler ; un corps tomba à ma droite. L'affrontement avait été bref, sans merci. Tous les Allemands furent fusillés, je crois même en avoir abattu deux après avoir insisté auprès de mon chef pour qu'il me confie cette tâche, malgré la foulure à la cheville que je m'étais faite dans la mêlée. Une poignée d'hommes s'étant chargés d'emporter quelques réserves de poudre, nous avons mis le feu aux lieux avant de les quitter au pas de course, nous enfonçant dans les bois après avoir masqué notre fuite avec un écran de fumigènes — une idée brillante d'un de nos compagnons — au cas où quelqu'un serait passé par là au mauvais moment.

Le lendemain aux aurores, nous avons fait le compte de nos pertes. Je crois que c'est uniquement à cet instant que j'ai compris ce que mon engagement de la veille avait impliqué. Nous, nous constations nos morts, les proches pleuraient, et même en tant que compagnons d'armes, il nous arrivait de verser une larme. En voyant des familles sangloter, l'image d'un foyer allemand ayant perdu un père, un frère ou un fiancé tué dans cette guerre dont il n'était pas responsable m'est venue à l'esprit.

À cet instant, je me suis dégoûté et haï plus que je n'avais jamais haï quiconque, si ce n'est peut-être le Führer, mais rien n'est moins sûr. C'était un monstre, mais j'étais un homme qui avait versé le sang en pensant bien faire, sans réfléchir, par haine envers des gens auxquels j'attribuais injustement mon propre comportement.

Même sans tuer, je pouvais encore servir la cause. Il restait tant à faire dans la Résistance que n'importe quel incapable pouvait l'intégrer. Être résistant ne signifiait pas forcément prendre les armes : distribuer des tracts, tenir des journaux clandestins, voler des vivres pour les maquis, réceptionner et transmettre les informations radio venues de Londres était indispensable. J'étais lâche et ne voulais plus me salir les mains, mais étais encore capable de me rendre utile. Néanmoins, rien n'effacera les mauvaises intentions que j'ai pu avoir. À présent, les résistants se sont couverts de gloire. Mérité-je seulement le titre de résistant ? 

Les Effacés - Recueil de nouvellesDonde viven las historias. Descúbrelo ahora