D'un départ maladroit...

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Il réprima un tremblement alors qu'il observa autour de lui- Il faisait nuit noir, peut-être, au fond, une lumière clignotante – une prise anti-moustique, là, dans un recoin de la salle. Ses iris, également, projetaient une lumière rouge faible sur le sol de la petite cage dans laquelle il se trouvait. Ses griffes enlacées aux barreaux, il chercha du regard ses futurs ennemis.

Il était dans une remise, dans le sous-sol d'une boite de nuit- la musique, difficile de l'inventer, s'entendait encore de là où il était. Ce soir était un soir tranquille. Un soir de repos, en fin de compte, du moins s'il avait pu se reposer avec la douleur d'angoisse qui lui agrippait les tripes. Il n'avait pas vraiment eu l'occasion de réaliser le mécanisme s'étant activé pour l'envoyer ici-bas : Une machinerie de haine et de perdition, de celles qui recyclent ceux étant incapables de survivre dans un monde sans pitié.

Il l'avait bien compris, et ce dès le départ, qu'il jouait de malchance. Peut-être l'avait-il déjà réalisé au visage déconfit de la vendeuse le voyant arriver au centre d'adoption –'Encore un Edgy ? Mais nous avons déjà renvoyés les huit derniers !'- ou le bocal ridicule dans lequel il fût placé, isolé, alors qu'il entendait des rires et des chants provenant des enclos où étaient stackés tous les autres.

Il avait écrasé un rictus. Ils étaient ridicules. Pitoyablement naïfs et rêveurs. Il se jura de ne jamais leur ressembler et pourtant-

Lorsque les clients défilaient, son regard se teintait du même espoir. Il tendait un bras, pas parce qu'il se languissait de la famille aimante qu'on lui avait vanté, au labo –De ce logis chaleureux, de ce lit confortable, si loin d'un bocal à poisson plus que débile- mais par un réflexe qu'il maudit.

Les jours avaient passés et il avait eu l'impression que le centre d'adoption... Il faisait froid, ou c'était lui ? Nan, c'était probablement pas lui. Peut-être les saisons qui déclinent, l'automne qui s'en va, tout ça... Il n'y pense pas trop, il cherche à s'occuper. Recueille tant qu'il le peut les morceaux de paroles, les bribes de mots qui s'échangent entre les vendeurs, les clients, Il y a cette fille, -Elodie-, une vendeuse. Elle est plutôt gentille envers lui. Il l'apprécie... Dans un sens. C'est elle qui lui donne la dose de contact quotidien dont son âme faiblarde a besoin pour ne pas s'étioler ; le point faible de son espèce. L'un des nombreux points faibles.

Un animal de compagnie, voilà ce qu'il était. Dans un monde où son espèce avait été crée pour servir de jouet aux restes des êtres sentients, il ne pouvait s'empêcher de garder une certaine rancune contre ses créateurs. Ses maigres connaissances, qui ne s'étalaient pas plus loin que le centre d'adoption –l'animalerie- dans laquelle il dépérissait depuis des mois, le rendaient amer. Chaque nouvelle découverte renforçant l'idée qu'il avait raison de haïr ceux dont il avait été crée pour être dépendant.

Il avait bien cru que son chemin se serait arrêté là –et peut-être l'aurait-il souhaité s'il avait su ce qui l'attendait !- : un invendu. Renvoyé à l'usine. Détruit. Fin de la partie. Mais les choses se déroulèrent autrement.

C'était un être encapuchonné –Un.e adolescent.e, probablement, vu le visage encore bouffi de l'enfance et le teint cerné d'angoisse de l'adulte. La petite taille, également, jouait en ce sens. Iel avait une voix claire, presqu'invitante.

« Il y a de nouveaux invendus, Elo' ? » La jolie vendeuse hésita un instant avant de diriger l'adolescent.e vers le bocal à poissons. Le Bitty, à l'intérieur, de se tendre. Il se redresse, observe, défiant. Son âme semble prête à valser en éclats- Etait-ce possible... ? Leur regard se croise un instant, mais l'adolescent.e semble ne pas le voir. C'était tout ? Rien ? Et cette fusion d'âmes, cette amitié instantanée dont le Bitty avait tant entendu vanter ? Il le savait ! C'était du pipeau.

La main de l'adolescent.e tremblote. Iel redresse sa tête vers la fille.

« C'est tout ? Il m'en faudrait quinze de plus, les cages sont vides ! » Pas qu'il soit très futé, le Bitty, mais il comprend que ça n'a rien à voir avec le foyer qu'il espérait.

« C'est tout. » Insiste la jolie vendeuse. « Et c'est à contrecœur. » La monnaie passe de main en main, Elodie se place devant le bocal. Les mains en coupe, elle attrape la créature s'y trouvant, répond à son regard inquiet par un sourire plein de compassion.

« Ca va aller. » Qu'elle lui souffle avant de le glisser dans une boite rigide. « Ne t'en fais pas. »

Être plongé dans le noir n'était pas de ses préférences, mais le Bitty aux yeux rouges ne dit rien pendant les dix premières minutes du trajet. Enfin, il s'ennuya.

« Hé ! Tu es mon nouveau propriétaire... ? » 'Maman', 'Papa', il avait entendu ses semblables dire, affectueusement, alors qu'ils étaient enlevés de leur enclos. Pour les avoir vu revenir, les heureux 'parents', furieux, réclamant le retour de leur argent, il ne préférait pas employer des termes aussi dangereux. Il n'avait pas besoin de s'attacher. Il-

A qui il disait cela ? Il avait été conçu pour ça.

Pas de réponses. C'est pas qu'il n'a pas essayé- il a râlé depuis l'intérieur sombre de sa boite pendant bien vingt minutes ! Mais personne pour lui rétorquer quoi que ce fût. A l'occasion, la boite secoue un peu, comme pour le faire taire. Alors, le silence. Puis, il entend une voix familière dire une phrase familière.

« Il y a de nouveaux invendus, Miranda ? »

Ah.

Quatre centres d'adoptions plus tard, et certainement de nombreuses heures vu comment notre Bitty est enchylosé d'être resté assis dans ce truc qui secoue –un très mauvais manège, je vous le promets-, il se retrouve face à cet endroit qui diffuse de la musique électronique.

Puis le voilà dans cette cage.

On l'a vite mis au parfum. C'est un autre Bitty aux yeux rouges, qui traine également dans sa cage, qui lui a raconté le deal- Sous la boite de nuit ? Un cercle de combat. Ca, il n'en avait jamais entendu parler. C'est le visage décomposé et l'air tout bonnement horrifié qu'il l'a laissé faire son speech. Des affrontements à mort ? Un massacre entre membres de la même espèce, pour le plaisir des spectateurs ? Na. Il n'y croyait pas un seul instant !

Alors, pourquoi est-ce qu'il tremblait comme ça ? La température avait dû se refroidir encore un chouïa.

S'il pouvait chopper le gosse qui l'avait emmené ici... ! Aucun doute qu'iel passerait un sale quart d'heure.

a little FallWhere stories live. Discover now