Chapitre 1

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Le soleil se levait à peine sur la paisible ville de Meaton lorsque Roméo Cappelini, habillé de pied en cap, sortit de chez lui afin de relever son courrier. Le jeune homme d'une vingtaine d'années, tout vêtu de la couleur du deuil, dont les magnifiques yeux étaient pourvus de cernes si grands qu'ils tombaient presque sur ses pommettes, semblait ne pas avoir dormi depuis des mois, et affichait une mine détruite qui témoignait de la dure épreuve qu'il tentait de surmonter. Alors, le pas bien trop rapide et incertain pour quelqu'un de confiant, il se dirigeait vers sa boite aux lettres, clé à la main tout en jetant des regards méfiants aux alentours.

Après avoir vérifié à maintes reprises que son contenu était sans danger, il se décida à saisir la pile de journaux qui s'y trouvait, avant de refermer à triple tour la boite de fer noir recouverte de fines dorures. De sa démarche mal assurée, il retourna alors dans la grande bâtisse que désormais lui seul occupait, en prenant bien soin de s'enfermer plusieurs fois.

L'intérieur était si sombre que n'importe quel humain inhabitué à l'obscurité n'aurait pu effectuer un seul mouvement sans risquer de percuter les nombreux meubles occupant la pièce – Qui plus est, étaient pour la plupart recouverts de monstrueuses piles de livres, allant parfois jusqu'à toucher le plafond, pourtant haut. L'homme, tout de noir, s'y mouvait cependant comme en plein jour, et traversa l'endroit sans s'y attarder, avant de pénétrer dans une autre salle nettement plus grande, et fit cette fois l'effort d'actionner l'interrupteur, révélant une pièce d'une talle monumentale, éclairée par de grandioses lustres de verre qui projetaient sur toutes les parois, des milliers de diamants étincelants faits de lumière. Un tel spectacle aurait laissé n'importe qui muet d'admiration, mais manifestement pas le jeune homme, qui s'était déjà assis sur le sofa de cuir noir. Tout dans la pièce montrait la richesse et l'opulence mais ce dernier semblait ne pas s'en soucier le moins du monde. Il vivait pour l'instant une existence des plus simples, dans la solitude et la culture que lui apportaient les livres qu'il dévorait, et l'amour de l'art qu'il assouvissait en peignant de multiples toiles qu'il attachait partout où il restait de la place disponible, si bien que tous les murs sans exception étaient remplis.

D'une main, il se saisit du café qu'il avait laissé refroidir sur la table basse, et de l'autre il prit un journal au hasard parmi la multitude d'autres qui se présentaient à lui, et machinalement, il feuilleta les pages jusqu'à trouver quelque chose qui l'intéressait. Une gorgée plus tard, il était plongé dans un article.

« Manque de preuves dans l'affaire Cappelini

Tous les habitants de la ville de Meaton restent choqués à la suite de la terrible tragédie qui les a frappés il y a trois mois jour pour jour. En effet, le 18 aout dernier, Armen Cappelini et Eros Bonneshare furent victime d'un assassinat violent alors qu'ils sortaient de chez eux. L'autopsie à révélé maintes blessures par balle, qui auraient causé le décès des deux hommes, avant l'arrivée des forces de police, alertées par le voisinage. Si les suspects n'ont pas encore été appréhendés, cela ne saurait visiblement tarder, selon le préfet de police, qui promet que ses meilleurs enquêteurs sont sur l'affaire. Malheureusement, la plupart des théories ont dues être écartées, par manque de preuves.

La disparition de Jake Cappelini est un mystère pour l'instant. Rappelons que le corps du jeune homme d'à peine seize ans n'a pas encore été retrouvé »

L'homme soupira en essuyant discrètement une larme qui avait perlé le long de sa joue. Ainsi son frère était déjà considéré comme mort.

Il se tut, arrêtant presque de respirer, pendant un long moment, comme pour honorer les âmes de son père et de son amant, mais refusant de penser à la potentielle mort de Jake. Il avait failli à sa mission. Il aurait dû les protéger, tous, et même s'il savait son comportement masochiste, il ne pouvait s'empêcher de se persuader que tout était sa faute. Ça apaisait ses angoisses, enfin il le croyait.

Il renonça à consulter les autres journaux, à quoi bon, de toute façon. Tous annonceraient la même chose, et le jeune homme commençait sérieusement à se demander comment les lecteurs de ces actualités faisaient pour supporter une telle répétition tous les jours. Il se décida plutôt à continuer son rangement habituel, afin d'avoir trié rapidement tout les bibelots, livres et autres objets qui peuplaient la bâtisse, dans l'objectif de pouvoir bientôt la faire visiter à de futurs acheteurs.

Il ne supportait plus de vivre ici. Tous les jours, revoir le portail, y apercevoir les fines traces de sang qui n'avaient pas été nettoyées, se souvenir à nouveau, se souvenir du corps de son père, tombé en premier, s'effondrer et se couvrir progressivement de taches rouges, puis celui de Eros, celui qui aurait dû devenir son mari, celui qui aurait dû être éternel, auprès de lui. Le revoir chuter, la poitrine criblée de balles, entendre ses hurlements d'agonie. Tout cela n'aurait jamais dû arriver. Jamais. Mais pourtant c'était comme ça. L'homme endeuillé se surprit à penser que la vie devait bien se moquer de lui, finalement, et la mort aussi.

AU NOM DE L'ÂMEWhere stories live. Discover now