Chapitre 28.

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« Raymondin... commence le chasseur de sirène, déstabilisé par la présence du seigneur de Lusignan et par l'aura de froide détermination qu'il dégage.

— Éloigne-toi tout de suite de ma femme, Renaud.

Son ton cingle, froid et sec, telle la bise glacée de l'hiver. Je ne l'avais jamais entendu s'exprimer ainsi. Même moi je sens ma volonté vaciller face à un tel ordre.

Raymondin ne plaisante plus.

Son frère se crispe un peu plus et sa poigne autour du manche de son arme se resserre. Reste à savoir contre qui il s'en servira. Pathétiquement, il proteste, en me désignant avec dégoût tandis que je reprends peu à peu possession de mes moyens :

— Ray... C'est un monstre.

— Si tu voyais la scène de mon point de vue, ce n'est pas ce qui apparait.

Si je le pouvais, j'exulterais de joie et de fierté. Malheureusement, j'en suis un peu incapable actuellement.

— C'est une créature du diable !

— C'est ma femme, rétorque aussitôt mon protecteur. C'est ma plus chère amie. Et tu es mon frère.

— Depuis quand défens-tu le camp du mal ?

— Il n'y a pas de camp, Renaud... Il y a simplement les causes que l'on choisit de défendre.

Je bénis Raymondin pour sa sagesse. Et je me bénis pour l'avoir choisi comme protecteur. Malheureusement, mes forces déclinent de plus en plus. Et suivre cette joute verbale m'est de plus en plus difficile. Je surprends un instant le regard furtif de mon époux vers moi. Il s'assure donc que je tienne encore le coup. C'est bien mignon mais ça ne m'aidera pas longtemps. La douleur me tiraille de plus en plus et la faim créé un gouffre qui annihile de plus en plus la moindre pensé cohérente. Même ma gorge refuse de former le moindre son, tant et si bien que je reste muette et frustrée à l'idée de ne pouvoir rien dire.

Le seigneur de Lusignan bombe le torse avant de souffler, d'un ton soudain attristé, comme s'il était peiné par la « trahison » de son frère – ce qui doit certainement être le cas.

— Tu m'as caché être un chasseur de sirène...

— Et toi, tu m'as caché avoir tué notre oncle !

Raymondin fronce des sourcils. Son regard glisse un instant vers moi. Il est conscient que l'information ne peut venir que de moi. Malgré tout, je n'y lis aucune colère à mon encontre et il se retourne vers son cadet. D'un ton sombre, mon protecteur soupire, las :

— Et cela fait de nous deux des assassins. La lignée des Forez doit se retourner dans sa tombe à cet instant.

Malgré le brouillard qui enveloppe petit à petit mon esprit, je suis impressionnée par le calme remarquable dont fait preuve Raymondin. Mais mon ennemi semble ne pas partager mon avis. Se tournant vers moi, il vocifère, sa voix grave déchirant l'air chargé de tensions :

— Garce, vous avez retourné mon frère contre moi !

Il esquisse le mouvement de se jeter sur moi. Malgré la force des chasseurs de sirènes, Raymondin se dresse en travers de se route et le bouscule, déviant sa trajectoire. Renaud se redresse, furieux. Son regard étincelle d'une rage aliénée, loin du calme que prône la ligue. Cet affrontement a pris un tout nouveau tour. D'une voix glaciale, menaçante, l'homme crache :

— Désolé, mon frère. Mais si tu protèges la sirène, alors je vais devoir te tuer toi aussi.

Et sans plus attendre, le chasseur de sirène se jette sur le chevalier, dague au clair. Et j'enrage de ne pouvoir agir. J'enrage et je m'enlise.

Mélusine - La légende De Lusignan (Mélusine HS.3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant