Orcs et clowns : III

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La jeune ældienne s'éveilla dans une couche moelleuse, d'un confort qu'elle n'avait pas connu depuis longtemps. Erenwë roula d'un côté puis de l'autre, savourant le contact du drap soyeux contre ses jambes nues, la caresse de la couette et de l'oreiller.

Elle ouvrit les yeux soudainement. La dernière fois qu'elle s'était réveillée, c'était à bord d'un vaisseau orcanide. Un orc nommé Roggbrudakh les avait aidées à s'enfuir, puis, sur le chemin de la soute, leur trio s'était fait attaquer par des ædhil... Ou ce qu'elle supposait être des ædhil. Des clowns. C'était ainsi qu'on appelait, en Commun, les êtres comme eux : grotesques, ridicules, mais effrayants.

— Tu es réveillée ?

La voix veloutée d'un ældien de bonne naissance acheva de tirer Erenwë du sommeil lourd et anxieux dans lequel elle était empêtrée. À côté de son lit, un superbe khangg aux colonnes et aux paravents sculptés, se tenait un jeune mâle à la chevelure d'or blanc, mi-longue et attachée par une simple queue. Ses oreilles étaient garnies de deux anneaux et d'un pendant en topaze cristallin, visiblement de la même couleur que ses yeux félins. Erenwë, toujours sensible à la beauté mâle, le contempla un moment, appréciant la courbe sensuelle de sa bouche et l'arc noble de son nez.

En voilà un que je ne laisserai pas dormir tout seul, songea-t-elle en le regardant.

En plus, il lui tendait un verre de jus.

— Tiens, bois, lui proposa-t-il de son agréable voix.

— Merci, croassa-t-elle, avant de se désaltérer et de reprendre d'une voix plus mélodieuse. Merci de nous avoir sauvées des clowns. J'étais désespérée : je commençais à croire que les ædhil avec le sens de l'honneur n'existaient plus. Cela fait tellement de temps que ma sœur et moi étions prisonnières des orcs... Et personne n'est venu à notre secours. Alors, ces bouffons de carnaval par-dessus le marché... Pour moi, ça a vraiment été la goutte d'eau faisant déborder le vase.

L'ældien sourit et il reprit son verre, le reposant sur la petite console à côté du lit. Erenwë s'y étira ostensiblement, montrant qu'elle n'était pas contre l'idée d'en partager le confort avec un partenaire.

— Qu'est-ce qui vous est arrivées ? demanda-t-il ensuite, croisant les bras sur son giron, genoux relevés. Et que faisait cet orc avec vous ?

— Roggbrudakh ? Au fait, avez-vous pu le sauver ? Je crains que les clowns ne l'aient tué...

— Il est vivant, la coupa tout de suite l'ældien. Mais nous n'étions pas sûrs de ses intentions. Un orc, en plus... Et pas des moindres. Il a repris connaissance tout de suite, et Innafay a eu beaucoup de mal à le remettre sous contrôle. Pourtant, c'est une illusionniste patentée, maîtresse ès dwol et configurations. Au fait, j'ai trouvé de drôles de choses dans ton équipement... (Il brandit du bout des doigts une petite bourse violette). De la poudre d'araignée ?

Erenwë fronça les sourcils. Elle n'aimait pas le ton que le jeune mâle avait emprunté.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? fit-elle en tentant de le lui reprendre.

Mais le jeune mâle était plus rapide qu'elle, et il le rangea dans sa tunique. Son visage était devenu plus sombre et sévère, ce qui, paradoxalement, ne faisait que renforcer sa beauté.

— Je te le confisque pour l'instant. Nous autres, du Chemin Voilé, on aime pas trop les araignées.

— Vous avez peur qu'elles vous mordent les fesses ? siffla Erenwë. Vous êtes les clowns, hein, avoue !

L'ældien éclata de rire.

— Oui, nous sommes les clowns, comme tu dis. Une troupe de bardes-guerriers itinérants. C'est bizarre que tu emploies ce mot adannath, au lieu d'utiliser le vrai terme ældarin... Et tu es une khari. La deuxième que je vois dans ma vie, et cela en l'espace d'à peine deux lunes !

Astres gelés (Le Dit de Rika III)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant