La danse du Calice Brisé : I

92 18 3
                                    

Un silence glacial tomba sur l'assistance. Plus personne ne mangeait, si ce n'est Mana, qui, les yeux baissés sur son plat, continuait à picorer. Sa fourchette crissa déplaisamment lorsqu'elle heurta le céladon de son assiette.

— Eh bien ? fit-elle de sa petite voix pointue, crevant le silence. Vous parliez de demander tout un tas de choses à l'Aonaran, très cher. Et maintenant qu'il est là, tout le monde est silencieux ?

Mes yeux se posèrent naturellement sur Mana. Comme souvent, je l'aurais embrassée, mais ce n'était pas sûr qu'elle apprécie. En la regardant, je me demandais dans quelle mesure elle était au courant pour l'identité de l'Aonaran.

— Chers amis ici réunis, clama alors Syandel en quittant le giron d'Edegil. Laissez-moi vous présenter les membres de mon aimable troupe. Vous avez devant vous le Roi des Fous, monarque d'un royaume depuis longtemps perdu et oublié. Voici ma muse et mon inspiratrice, la belle, la divine Narda-des-Larmes-Pourpres...

La susnommée, une gracieuse ældienne, fit quelques pas devant nous.

— Puis celui qu'on appelle l'Amadán, ici présent... continua le Meneur en montrant un grand ældien qui se fendit d'une élégante courbette. Tristement connu pour sa Nef des Terres et des Mers, conduite par les âmes emprisonnées des morts, vous savez tous comment cela marche...

Il jeta un œil appuyé aux dorśari, connus pour esclavagiser leurs ennemis, y compris leurs frères de lumière. Les accusés pris en faute détournèrent tous la tête, à l'exception de Fornost-Aran qui continuait à fixer l'ollamh d'un air pensif, son menton posé sur sa main.

Ce dernier s'avança et déclama sa tirade, avançant d'un pas gracieux sur la grande travée de la salle.

— Mon royaume, le monde merveilleux d'Aśuf, était le plus beau des royaumes, suscitant fierté et prestige...

Alors qu'il approchait, des effluves d'agrumes me parvinrent aux narines. J'entendis le bruit des vagues, je sentis le vent chaud souffler gentiment sur ma peau. Je n'avais pas connu ces choses, et pourtant, je les reconnus tout de suite. Derrière, toute une assemblée de choristes déguisés en pages d'une cour merveilleuse portait paniers de fleurs, fruits merveilleux, vases en cristal, bannières de soie, et posèrent le tout devant les convives émerveillés. En suivant l'avancée du couple Syandel-Narda vers la grande porte, je constatais alors – à l'instar de tous les autres invités – qu'elle avait été transformée en scène, et remplacée par un rideau s'ouvrant sur une espèce de portail, un vortex merveilleux d'où sortaient les acteurs pour venir se mêler aux choristes. Personne ne s'était rendu compte de cette installation, tant ils avaient réussi à détourner notre attention avec leurs présentations.

Ils sont forts, ces clowns, ne pus-je m'empêcher de me dire, admirative.

— Ma Dame et moi nous remercions pour votre participation à cette cathbeanadth. Vous serez nos invités pour le reste de la soirée. Oh, mais je crois que j'ai oublié d'introduire un acteur important de la pièce de ce soir. C'est ce musicien de génie que vous attendiez tous... D'ailleurs, ai-je besoin de le présenter ?

Tout le monde jeta un regard inquiet à la Mort et à l'Aonaran, les seuls à être vêtus de noir.

— Celui-là n'est pas de ma guilde, ironisa Syandel, railleur, il s'est invité tout seul... Essayons de ne pas faire attention à lui. Il reviendra jouer sa partie bientôt.

L'Aonaran recula, et disparut dans l'ombre. L'assemblée poussa une légère exclamation de surprise, et Fornost-Aran fronça les sourcils.

— Je voulais qu'il me joue l'épopée de sang au clairseach, fit-il en faisant tourner le gwidth dans son verre, bravache.

Astres gelés (Le Dit de Rika III)Where stories live. Discover now