CHAPITRE 13 : La cité autophage

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Malgré la variété de cet environnement extraterrestre, Aélig le sentait habité par une monotonie mathématique lancinante

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Malgré la variété de cet environnement extraterrestre, Aélig le sentait habité par une monotonie mathématique lancinante. Les décors qu'elle explorait, se cantonnant en général à l'extérieur de la mégastructure, partageaient une symétrie rigoureuse et brutale. Des angles droits, des cubes et des lignes droites, surplombés parfois par des arches ou des cascades. Débordant sur cette uniformité architecturale, le désordre d'une végétation sauvage grignotait de grands pans de pierre et de métal. Le sol artificiel disparaissait parfois sous une épaisse couche de terre riche. Des portions de jungle se frayaient un passage dans les failles, dégoulinant sur les terrasses.

Elle assistait à un combat muet et séculaire entre deux forces opposées : la flore sinueuse partait à l'assaut de la muraille, la déformant lentement. Le résultat de cette lutte se présentait sous la forme d'un effrayant labyrinthe envahi de fougères et de constructions à la géométrie aberrante. Une ruine antique. Parfois, Aélig appréciait la frondaison tropicale du lierre et les abris arachnéens tendus au-dessus de sa tête, mais la plupart du temps, ces jardins privés de lumière la terrifiaient et elle les évitait avec prudence. Cette profusion de chlorophylle émeraude n'était guère naturelle. La canopée démente était excrétée par la mégastructure, produisant un invisible travail de sape. Pris dans les racines, des capteurs étranges luisaient, bourdonnaient et clignotaient telles des maladies phosphorescentes. Cette hybridation la mettait mal à l'aise. Elle ne comprenait pas le but de cette autodestruction. Une entropie inéluctable rongeait la planète.

Poussée par une curiosité morbide, Aélig arpenta le moindre recoin de cette carcasse en décomposition, découvrant ses os dénudés, sa chair lépreuse colonisée par le lichen et ses veines gorgées d'eau noire. La lumière blafarde de la nuit perpétuelle soulignait la décrépitude majestueuse du dédale. Elle apprécia s'y égarer, tout comme elle aima perdre la notion du temps, absente entre les hauts murs. Zhul'Umbra s'écroulait avec une indolence tectonique, poursuivant une obscure apothéose de décadence. Cela la troublait. Elle pouvait passer plusieurs heures à contempler l'étendue des jardins suspendus au-dessus de la terre de marbre, hantée par le souvenir de la réserve botanique de Carrière, dont elle avait le jumeau difforme devant les yeux. De manière plus sporadique, elle s'approchait de la frontière du secteur habité.

Embusquée dans le couvert de la végétation, elle s'asseyait alors et observait la drôle de vie foisonnant à proximité. Elle regardait les Thanyxtes vaquer à leur quotidien, si différent de ce qu'elle connaissait mais suivant des schémas compréhensibles. Au bout d'un certain temps, elle réussit même à distinguer leurs catégories sociales. Tous étaient élancés, quoique d'une taille moyenne ; un mètre soixante-quinze pour les plus grands, selon ses estimations. Ils partageaient la même physionomie acérée, délicate, presque fragile. Certains possédaient plus de masse musculaire que d'autres – des guerriers, probablement, ou des gardes. Quand l'un d'eux la remarquait, elle prenait la fuite, peu désireuse d'établir un contact, même fugace. Aucun ne tenta de lui parler, se contentant de la regarder. Leurs yeux, d'une fixité de cadavre, n'exprimaient rien de familier pour elle. Sa peau laiteuse et son crâne nu devaient leur paraître bien étranges.

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