Chapitre 3

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Une petite sœur.

Sa mère avait déjà fait de nombreuses fausses couches par le passé. Lorsqu'elle était tombée enceinte de Leena, l'idée de pouvoir la perdre l'angoissait tellement qu'elle avait décidé de passer ses neuf mois de grossesse au lit. Sa fille vint au monde, mais sa naissance fut suivie de nombreuses complications, et les médecins persistaient à penser qu'elle ne survivrait pas une année. Mais la petite Leena semblait être née pour défier la mort, car alors une année passa, puis deux... Et l'espoir prit petit à petit racine dans le coeur de ses parents. Cependant, malgré ces treize précieuses années, la solitude ne l'avait jamais quittée. Tout ce temps, elle rêvait d'avoir des frères et sœurs, de pouvoir aller à l'école, au collège et au lycée comme tout le monde, de sortir et de voir des amis du même âge qu'elle. Mais tout espoir s'était éteint en elle dès lors qu'elle comprit la chance incommensurable de ses parents de l'avoir au bout de Dieu sait combien de tentatives. Ils avaient tant espéré, et tant perdu. Et voilà maintenant qu'on lui annonçait qu'elle allait avoir une petite sœur. Elle n'était pas sûre de savoir s'il fallait se réjouir ou non. Sa nourrice, qui attendait une réponse, ne parvint pas à déchiffrer l'expression qui venait de s'afficher sur son visage. Était-ce du doute ? De la peine ? De l'indifférence ?

- Cela ne vous réjouis pas... ? balbutia Namei.

- Comment peux-tu te réjouir pour ça ? rétorqua la jeune fille sur un ton sec.

Tandis que le sourire de sa nourrice commençait à s'estomper, Leena se tut en réalisant la dureté de ses paroles. Le vent se leva alors subitement, presque en réponse à sa réaction, et fit danser ses boucles noires en même temps que les branches du saule pleureur qui se tenait derrière elle au loin.

- Pardonne-moi, Nana.

- Mais non, voyons ! C'est moi qui vous demande pardon, répondit sa nourrice. J'aurais dû réfléchir avant de vous annoncer pareille nouvelle, tout en prétendant en plus qu'elle soit bonne...

Face au silence et au regard vide de la jeune fille, Namei reprit d'un ton inquiet :

- Dîtes-moi à quoi vous pensez, ma chérie...Je n'aime pas quand vous gardez tout enfoui comme vous êtes en train de le faire. Ça n'est jamais bon de faire ça, je vous le répète sans cesse. Comme pour la Princesse au Volcan, vous vous souvenez ?

Sa nourrice faisait référence à l'un de ces contes que Leena lisait lorsqu'elle était enfant. L'histoire parlait d'une princesse toujours en colère qui, semblable à un volcan, gardait toute sa rage en elle jusqu'à ce qu'elle n'explose et ne détruise tout sur son passage.

- Je sais, oui... Je n'exploserai pas, assura Leena. C'est juste que t'entendre m'annoncer ça de manière si joyeuse, ça me fait mal. Tout ce que cette nouvelle arrive à me faire éprouver, c'est de l'affliction. La première chose à laquelle je repense maintenant, c'est à toutes ces fois où j'ai entendu maman pleurer...

Elle se remémora alors douloureusement le jour où elle avait pour la première fois surpris sa mère en larmes dans l'entrebâillement de la porte de sa salle de bain, les mains et les cuisses ensanglantées. Elle s'en souvenait car personne, pas même son père, n'avait été présent au manoir ce jour-là. Depuis, elle gardait en elle cette sensation étrange et désagréable que les rôles venaient de s'inverser, comme si sa mère était devenue l'enfant et elle l'adulte.

Encore perdue dans ses pensées, Leena put sentir les mains de sa nourrice étreindre les siennes. Elle se mit à fixer ses mains, et Namei put alors déceler, non sans un pincement au cœur, le regard assombri de la jeune fille. Elle chercha quoi lui répondre, mais sans succès. Leena releva doucement la tête et dit :

- Tu sais Nana, le matin quand je me réveille, je bénis et je maudis le silence. Il semble dire que tout va bien aujourd'hui parce qu'aucune larme n'a coulé, mais tu vois, il crie aussi ma solitude.

Le dernier mot lui était sorti de la bouche en laissant un goût amer. Elle jeta un rapide coup d'œil au loin, en direction de la fenêtre de sa chambre. Vue de l'extérieur, elle semblait tout petite. Leena afficha alors un faible sourire avant de planter son regard dans celui de sa nourrice :

- Alors, s'il te plaît, ne m'en veux pas si je ne saute pas de joie.

Sur ces mots, elle s'en alla, laissant Namei avec ses pensées. La pauvre femme demeura immobile, regrettant de lui avoir annoncé une nouvelle dont elle redoutait bien la réaction. Cela lui fendait le cœur de voir tant de chagrin dans un regard si jeune.

En la quittant, Leena faillit croiser sa mère qui était occupée à arroser des plantes. Elle préféra l'éviter et continua à marcher jusqu'à pénétrer à l'intérieur du manoir. Elle monta les marches jusqu'à sa chambre avec une lourdeur qu'elle ne connaissait que trop bien. Lorsqu'elle eut franchi le palier de sa porte, elle alla s'asseoir sur le rebord de sa fenêtre, à une place confortablement entourée de coussins brodés. Après le kiosque et la bibliothèque, c'était là un de ses endroits favoris pour lire, tout particulièrement en automne.

Elle laissa doucement retomber sa tête contre la vitre et regarda d'un air absent les fleurs que sa mère était en train d'arroser. Elle les imbibait toujours d'eau avec une attention presque obsessionnelle et leur parlait comme s'il s'agissait de vraies personnes. Il y avait des chrysanthèmes, des tulipes, des dahlias, des hortensias, des roses... Et à chaque fausse couche, le fœtus était enterré à cet endroit. C'était une manière de les faire renaître et de leur offrir une nouvelle vie. Par la fenêtre de sa chambre, Leena en comptait un bon nombre. Ils étaient magnifiques, chacun unique de par sa forme et sa couleur. Le soleil, qui commençait à décliner à l'horizon, semblait jouer avec les nuances de leurs pétales. Le ciel était semblable à un tableau, orné de cette grosse sphère jaune en guise de lustre, épousant des teintes de mauve, de rose et d'orange. Certains oiseaux terminaient leurs parades amoureuses, marquant ainsi le début du printemps. Leurs chants s'évanouissaient doucement dans la brise, laissant un sentiment de mélancolie s'installer dans le cœur de la jeune fille.

Après avoir passé quelques minutes à contempler les nuages pourpres, son regard se posa sur le kiosque. A cette distance, il ressemblait à quelque chose de faux, voire de théâtral. Comme à une pièce dans une maison de poupée. En scrutant le lierre qui longeait une des poutres, son regard descendit sur le fauteuil où elle s'était assise auparavant, jusqu'au livre qu'elle avait laissé. Mais elle n'était pas vraiment pressée d'aller le récupérer. Elle n'avait à cet instant précis plus envie de lire quoique ce soit, et se contenta de fermer les yeux un instant. Elle se demanda s'il y avait vraiment un Bon Dieu, et si c'était le cas, pourquoi il faisant tant souffrir ses parents. De fil en aiguilles, ses pensées la ramenèrent à toutes les thérapies qu'elle avait dû suivre.

Une Potterhead à Poudlard [PARTIE 1]Where stories live. Discover now