7.

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 J'avais dormi habillé, sur le bord du matelas, sur le fil d'une obscurité qui menaçait d'engloutir mon esprit. Je me suis réveillé d'une nuit sans rêve, sans signe de vie. Je m'habillais la mort dans l'âme alors qu'Ethan prenait sa douche. Ça me rappelait les repas de famille auxquels on me forçait à aller. Sans fin. Sans faim. Les repas bruyants d'adultes que je trouvais irrespectueux entre eux, les repas où l'on me forçait à embrasser des arrière-grands-mères qui m'effrayaient, les repas où mon père me prenait sur ses genoux pour me faire sauter. Je pouvais tout sentir, essayant de faire comprendre à tous ces adultes qui riaient comme moi je voulais fuir. J'avais fini enfin par fuir ces repas, par fuir mon père.

C'était la même sensation ce matin-là. Devant le miroir, j'ajustai ma veste. J'aurais voulu m'en foutre, me dire qu'après tant d'années il pouvait bien penser ce qu'il voulait de moi. Mais je ne pouvais pas. Je pouvais voir toutes ces choses qu'il pourrait me reprocher, même mourant, agonisant, un pied déjà dans la tombe. Ethan apparut dans le reflet du miroir, un regard douloureux dans ma direction. Ses deux mains vinrent serrer mes épaules, son souffle s'écrasant dans ma nuque. Je penchais la tête en arrière, ses doigts venant caresser mes cheveux.

« Tu te sens prêt ?

_ Non. Je ne l'ai jamais été, je ne le serai jamais. Y a pas le choix. »

Il pressa une dernière fois mes épaules avant de quitter la chambre.

« Je t'attends dans la voiture. »

La route était ponctuée de feux qui m'insupportaient de plus en plus. Le GPS ne cessait d'augmenter le temps de trajet. J'avais l'impression que nous n'arriverions jamais. Sans me laisser le choix, Ethan avait prit le volant et tenter de paraître calme. Ses doigts pourtant tapotaient le levier de vitesse à intervalles réguliers. Il m'avait demandé où il fallait aller ; je l'ignorais. Je n'avais jamais eu à me rendre à l'hôpital.

Il prit en main ma détresse, me prit par la main pour me faire sortir de la voiture alors que je ne bougeais pas, fixant le pare-brise. Je tremblais comme je n'avais jamais tremblé, incapable de mettre un pied devant l'autre. Je voulais mourir ici. Je voulais renoncer, partir et disparaître.

Il se tourna vers moi, deux pas devant.

« Tu n'es pas obligé Edwin. »

Je regardai le ciel, le parking rempli de voitures qui brillaient sous un soleil d'hiver. Je regardai mon ombre d'homme adulte, semblable à celle de mon enfance, apeurée, qui aurait voulu se cacher. J'étais toujours cet enfant qui s'était promis de se venger. Celui qui avait pensé au jour où il pourrait dire la vérité à l'homme qui l'avait blessé, anéanti. Celui qui avait tant répété chaque parole, chaque chose que je pouvais, que je voulais, lui reprocher. Je m'étais toujours promis de me tenir droit, fière face à mon démon personnel. Mais je voulais simplement vomir.

Je n'avais pas eu de nouvelles de mon frère et seule la main d'Ethan me donna la force d'avancer. Il me tira jusqu'au bureau d'accueil où une petite femme à lunettes releva le nez vers moi.

« Bonjour, je peux vous renseigner ?

_ Je cherche quelqu'un hospitalisé ici. Je ne sais où.

_ Vous avez son nom ?

_ Charles Garance. »

Le visage de la femme se fronça, elle pianota rapidement sur son clavier. Ses sourcils se froncèrent un peu plus, elle se déplaça jusqu'à sa collègue au bureau suivant. Les deux levèrent vers nous un regard qui me fit paniquer. Mon cœur tomba dans mon estomac, la bile au bord des lèvres. La première secrétaire revint, accompagnée de la deuxième qui m'offrit une émotion désolée, parfaitement feinte :

_ Vous êtes de la famille ?

_ C'est ... Je ...

_ C'est son père, reprit Ethan. Charles Garance, où est-il ?

_ M. Garance est décédé dans la nuit d'avant-hier. Le vendredi 18, peu avant minuit, nous appris la première.

_ Nous avons prévenu sa famille, reprit la deuxième. Son fils était là au moment du décès. »

Le dernier arrêtWhere stories live. Discover now