Chapitre 24 : Felix Reed

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Année 2155

J'étais toujours dans les bras de Morphée lorsqu'un bruit désagréable m'a dérangé. Le bruit d'une main qui frappe sur une porte.

Je grogne et me retourne dans mon lit, la tête toujours dans la Lune et je grommelle un "oui ?" sec assez fort pour qu'on m'entende.

La porte grince et un rai de lumière du matin s'engouffre à travers ma chambre, dévoilant les quelques meubles qui la décorent. Mon lit, un grand deux places à la couverture bleu marine occupe largement la pièce, entouré de deux tables de chevet chic et sobres. Une grande garde robe qui affiche des costumes plus resplendissants les uns que les autres est à la gauche du lit et une porte noire donne sur une salle de bain privative. Un bureau est également disposé à la droite du lit, une pile de papier en son centre. Quelques bibelots traînent par-ci par-là, mais la plupart du temps on pourrait dire que la chambre n'est pas occupée, tellement que je n'y mets aucune marque propre de ma personnalité. Ce serait une attitude bien trop sensible pour un futur dirigeant comme moi.

Un serviteur entre et se poste, comme le protocole l'y oblige, raide comme un piquet, près de la porte. Il tient un petit papier dans sa main gauche et semble hésiter sur les paroles qu'il doit me prononcer.

« Alors, pourquoi m'avez-vous réveillé ? J'espère que c'est important... » Je lui lance d'une voix cassée et exigeante.

« J'ai... un mot pour vous, monsieur Reed. » Prononce-t-il finalement, prononçant ces mots d'un accent qui rend cette phrase encore plus lente qu'elle ne l'était de base.

« Eh bien, donnez-la moi, je vous prie. On ne va pas y rester toute la matinée. »

Il hoche rapidement la tête et vient me donner la lettre d'un geste vif, sans hésitations, presque heureux de s'en débarrasser.

Il me regarde de son poste près de la porte en attendant des instructions, ou peut-être veut-il connaître le contenu de cette lettre pour raconter des ragots à ses collègues de travail ? 

Qu'importe son intention, je ne le laisserais pas faire.

« Vous pouvez disposer. »

Il affiche durant une fraction de secondes un air déçu puis une expression irréprochable recouvre son visage et il part après m'avoir salué une dernière fois.

Voyons voir ce que contient cette lettre, maintenant. Je me lève et ouvre les stores aux fenêtres pour faire entrer la lumière. Je suis déjà réveillé, alors autant commencer la journée dès maintenant.

Je retourne la lettre mais aucun cachet ou signe ne m'indique sa provenance ; c'est une simple feuille de papier pliée en quatre comme on en trouve partout.

Je la déplie délicatement, faisant bien attention à ne pas la froisser plus qu'elle ne l'est déjà et l'ouvre enfin.

Il n'y a aucune signature, et d'ailleurs, la lettre est composée de seulement trois mots, mais qui me font tout de suite comprendre leur sens :

« J'accepte, Felix. »

Trois moi pourtant simples, mais qui me prépare mon héritage. Je vais me marier et avec Ava en plus !

Je l'ai toujours aimée. Je ne savais pas trop comment m'y prendre avec elle, chaque fois que je passais devant elle, elle reculait, faisait comme si je n'existait pas où repartait carrément du côté opposé.

J'ai dû me faire à l'idée qu'elle ne m'aimait pas autant que moi je l'aime.

Et les seules fois où elle acceptait de me parler, je bégayais, je ne trouvais aucun sujet qui pourrait l'intéresser, alors je parlais des projets de mon père. Ce qui avait l'air de l'intéresser mais je savais que ce n'était pas moi à qui elle portait cet intérêt. C'était à mon père.

Enfin, pas vraiment à lui j'imagine, mais surtout à ses projets.

Alors, pour qu'elle daigne enfin s'intéresser à moi, j'ai proposé une solution à mon père.

Bien qu'il aie encore de longues années de "règne" avant que je prenne sa place, mais à 19 ans j'ai déjà beaucoup de responsabilités dans son gouvernement. Je lui ai donc proposé que j'ai une aide dans mon travail, pour  l'aider lui aussi du même coup. Un mariage.

Il a cherché longtemps la bonne personne, mais je refusais chacune des jeunes filles qu'il me présentait. Au final, il ne restait plus qu'une seule personne : Ava.

Au début il n'était pas d'accord. Après tout, elle n'avait pour compétences que les cours qui lui sont donnés à la Tour, à peine 16 ans et un passé d'orpheline. Mais j'ai rapidement réussi à le convaincre ; si on la présente au peuple, elle sera adorée par son passé, les gens nous feront confiance, et je serais enfin heureux avec elle.

Il ne manquait plus que la réponse de la principale intéressée. Mais elle vient de la donner à l'instant même et je ne peux qu'être fou de joie !

Je me lève de mon lit et enfile rapidement le premier costume qui me tombe sous la main, un costume bleu sombre, une chemise blanche et de parfaits mocassins bien cirés. Je me prépare en vitesse afin d'être présentable, dresse la mèche blonde qui ne veut pas être coiffée et sors enfin de la chambre, la lettre à la main.

Je sais déjà où aller. Je tourne à droite, monte les escaliers en essayant de ne pas trébucher et j'arrive au dernier étage, juste au-dessus du mien.

Le bureau de mon père me fait face et je toque car, malgré l'heure matinale, je suis presque sûr qu'il est déjà en train de remplir des rapports en tout genre.

« Entrez. »

Qu'est-ce que j'avais dit...

J'entre doucement en souriant et viens me poser devant son bureau pour ne pas trop le déranger.

« Ah, c'est toi, Felix. Qu'y a-t-il ? » Me dit-il de sa voix grave, relevant la tête de son bureau.

Il boit une gorgée de son café et je vois pour la première fois à quel point il est fatigué. Sous ses yeux bleu ternes se découpent des cernes qui tournent au violet et ses cheveux, lui qui n'est pourtant pas si âgé que cela, remplacent petit à petit le châtain par du gris.

« J'ai eu une réponse ! » Je commence, lui tendant le petit mot que l'assistant m'a remis tout à l'heure.

« D'Ava. » Je lui précise, sachant qu'il n'y a aucune signature.

Il tourne la lettre en ayant lu les trois mots simples sur le papier.

« Et donc ? Vous allez vraiment vous marier. Tu es sûr de ce choix ? Après tout, elle n'est pas comme toi, comme nous. » Me répond-t-il, reposant sans aucune délicatesse le mot sur le bureau.

« Bien sûr ! Je... Je crois que je l'aime, et elle sera parfaite pour ce rôle, j'en suis sûr. » Je lâche, bégayant légèrement en lui avouant cela, sachant que mon père se renferme chaque fois que je parle d'amour.

Ma mère nous a quittés après ma naissance. Je ne me souviens de rien, bien sûr, j'étais trop jeune, mais mon père s'en souvient et ne veux rien me dévoiler.

Comme prévu, il fronce les sourcils mais prend un épais cahier d'un tiroir et le parcoure rapidement des yeux.

« 4 mai. Ce sera la date du mariage. Et si n'importe quoi, n'importe qui veut que ce mariage soit annulé, il le sera. Je n'ai pas la tête à m'occuper de cette idiotie si une guerre éclate... » Me dit-il en soufflant sèchement ces mots comme s'ils signifiaient une punition pour lui.

« Une guerre ? Je croyais que tout allait bien en bas ? » Je lui demande, inquiet.

Une guerre pourrait peut-être signifier la fin de mon héritage, la fin de la Tour... Il ne faut surtout pas que cela arrive.

« À Edenia, tout va bien, évidemment. Les gens qui vivent là-bas sont respectables, mais à Millenia, les agents de l'ordre m'ont signalé de nombreuses manifestations contre l'ordre et leurs vies minables. Ce sera facile à étouffer, mais on ne sait jamais. Tu devras être prêt à résoudre des situations semblables plus tard. Mais pour l'instant, profite de ce soi-disant mariage parfait. »

Je ressors bredouille du bureau. Des guerres possibles, des manifestations, un mariage qui ne lui plaît pas...

Que me cache-t-il encore ?

Le Test De L'Eden Où les histoires vivent. Découvrez maintenant