Zack

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Je marche jusqu'à m'engager lentement dans l'une de ces allées de pierres si nombreuses. Nous sommes au printemps et le soleil est présent, mais la multitude d'arbres présente effectue une barrière au ciel et plonge le lieu dans une ambiance sombre et fraîche. Je regarde le bouquet, secoue la tête. Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici. Peut-être pour te dire maintenant ce que je n'ai pas pu ou su te dire plus tôt. Sans ton regard sur moi, sans vraiment savoir où tu es et si tu m'entends, ça semble plus facile et moins formel.
Je m'agenouille et pose le bouquet sur le marbre de ta tombe. Ma main entre en contact avec la pierre froide, et je me fais croire que c'est elle qui me fait frissonner. Une hirondelle vient alors se poser non loin de là, et je pourrais penser que tu m'observes à travers elle, que tu veilles sur moi. Seulement, ni toi ni moi n'avons jamais cru à ce genre de choses.
Elle s'envole dans un battement d'ailes bruyant jusqu'à ce que je ne la vois plus.
Je sais que je dois te parler, mais je n'en vois pas l'interêt. Surtout, je n'y arrive pas. Je te parle dans mes pensées, et je ne vois pas le bienfait que ça me ferait de m'adresser à toi à voix haute, au milieu de toutes les autres personnes enterrées ici qui n'ont pas envie d'entendre nos problèmes. Mais je sais que je dois le faire.
Je soupire et passe mon doigt sur ton nom gravé dans la pierre, en regardant la date de ta naissance jusqu'à ta mort. C'était trop tôt. Malgré ce que j'ai pu penser de toi, tu ne le méritais pas. Personne ne le mérite.

À Marc Jankowki, un homme, un ami, un père.
1975-2025

-Papa...

Je serre les dents, ferme les yeux.

-Je ne peux pas te dire que je t'ai aimé comme on aime un père, car je ne sais pas ce que c'est. Je ne sais pas ce que c'est d'avoir un père, car tu n'as jamais été là pour moi. Même quand tu étais là, tu ne l'étais pas. Tu ne me parlais pas, tu ne me considérais pas. Tu vivais avec moi parce que tu y étais obligé, parce que tu voulais te prouver à toi-même que tu savais te débrouiller sans maman. Je n'ai pas à t'être reconnaissant de ne pas m'avoir abandonné car c'est la moindre des choses, ça ne devrait même pas être une issue envisageable, et je suis certain que tu l'as envisagé malgré ça. Quand j'ai appris que tu étais malade, j'ai fait comme si je n'étais pas touché. C'est ce que j'ai toujours fait, après tout. Ça doit être le seul point commun que j'ai avec toi. Mais je ne pouvais pas te laisser crever comme si de rien n'était, alors je t'ai envoyé de la thune pour ton traitement. Je pensais que ça compenserais ma présence et que je ne culpabiliserais pas. C'était des conneries, et je le savais. Parce que putain, tu me manques, et je sais pas pourquoi !

Je cligne plusieurs fois des yeux, s'emplissant de larmes.

-Je sais pas pourquoi... je dis d'une voix brisée en serrant mes poings.

Je reprends ma respiration sans cesser de pleurer.

-Papa... Je te demande pardon... Je n'ai pas été là pour toi. Je te hais, mais je ne pensais pas t'aimer à ce point.

Je souffle et essuie mes larmes. Je sens mes yeux tirés, et ma mâchoire me fait mal.

-Les gens avaient raison, ça libère de parler. C'est la dernière fois que je viendrais ici, mais je devais « te parler ». Même si l'on n'a jamais eu de discussion de ton vivant, celle-ci aura été drôlement bénéfique. Je me sens débarrassé d'un poids.

Je me relève dans un gémissement, jette un œil à la tombe avec un sourire ému. Je resserre ensuite mon chignon et me gratte la barbe, quand j'entends une voix d'enfant au loin.

Sous son emprise 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant